Scientific discoveries: The transmission
and reception of scientific learning
Découvertes Scientifiques: Transmission et réception
des savoirs
Claire Salomon-Bayet, France
Pour l'historien du politique, pour l'historien
tout court, découverte et révolution sont des mots
courants et utiles : révolution, au sens de Montesquieu,
changement brusque et violent dans la politique et le gouvernement
d'un Etat ; découverte, soif de connaître qui porte
l'homme à inventer, sans doute, mais aussi à se
déplacer pour conquérir l'espace et au besoin l'annexer.1
Pour l'historien des sciences, ces mots font partie du vocabulaire
spécifique de la discipline, mais leur emploi, commode
dans l'ordre de l'épopée et de l'efficacité
pédagogique, soumis à discussions, est l'occasion
depuis une vingtaine d'années d'analyses de plus en plus
précises, de plus en plus poussées, de plus en plus
subtiles pour saisir ce qu'est le temps de la science, dans quel
espace elle prend forme.
Le titre de notre session, Les découvertes scientifiques
: transmission et réception des savoirs scientifiques,
joue sur deux registres différents, très différents,
presqu'antinomiques. D'un côté, les découvertes
scientifiques et le double sens du terme "découverte".
Pour illustrer cette ambiguïté, une anecdote : avec
Bertrand Gille, il y a bien longtemps ( j'étais toute jeune
assistante à la Sorbonne), nous faisions passer les oraux
d'un certificat d'histoire des sciences. Nous avions posé
la question des grandes découvertes dans l'optique d'un
cours sur les révolutions scientifiques que ponctuaient
les noms de Képler, Copernic, Galilée, Huygens,
Newton, Lavoisier
Et nous avons eu des improvisations d'étudiants
nous parlant, difficilement, de la route de l'or et de la soie,
d'un nouveau monde et de l'immémoriale Asie: d'un côté
le temps, de l'autre l'espace - le temps de la rationalité
occidentale, héroïque, obstinée dans son désir
de savoir, de l'autre un espace exploré au-delà
de l'espace habité, de l'oecoumène, du bien connu,
au risque de l'échec et au péril des mers.
Découverte : "Ce qui est non seulement nouveau, mais
en même temps curieux, utile et difficile à trouver,
et qui par conséquent a un certain degré d'importance"
(Diderot et d'Alembert, article "Découverte"
de l'Encyclopédie). La définition de l'Encyclopédie,
quatre adjectifs et une évaluation, donne comme toujours
à réfléchir et je la reprends ici une fois
encore : définition factuelle, concrète, en dehors
de toute référence à l'abstraction logique
et à la démonstration. La seule connotation qui
pourrait être qualifiée d'épistémologique
est de remarquer que la découverte est difficile à
trouver: elle n'est pas l'enregistrement d'un fait ni la constatation
d'une apparence, elle est le résultat d'un travail de réflexion
ou d'expérimentation, individuel ou collectif, qui donne
à voir des choses qui n'ont jamais été vues,
à entendre des choses " inouïes" , pour
parler comme Galilée et l'un de ses interprètes,
A.. Koyré.
Il n'était pas plus facile d'aller à la découverte
des nouveaux monde. Difficulté matérielle, financière,
physique de l'entreprise : la conquête de l'espace au XVème
siècle comme au XXème siècle a un prix."
Difficile à trouver" a ici un double sens: une difficulté
qui est risque et danger d'une part - les grands navigateurs sont
des aventuriers, comme certains scientifiques d'ailleurs. Une
difficulté qui est difficulté intellectuelle de
l'autre, tension de l'esprit et puissance de combinaison, combinaisons
nouvelles de combinaisons connues, extrême tension qui n'est
pas sans danger non plus. Evoquons l'effondrement physique de
Champollion le jeune - cinq jours de léthargie - lorsqu'il
découvre le triple système d'écriture présent
dans les hiéroglyphes enfin déchiffrables (septembre
1822) : le monde de l'égyptologie s'ouvre, se substitue
et s'ajoute à l'égyptomanie.2 Une telle découverte
opère une véritable révolution dans les sciences,
ici sciences historiques et science du langage : le radicalisme
du changement est tel qu'il identifie un avant et un après
sans retour en arrière possible .
Mais le temps de la découverte n'est ni régulier
ni constant. Diderot encore : "Deux découvertes qui
se touchent dans l'esprit humain sont quelquefois séparées
par des siècles"3, dans les sciences comme dans les
techniques. Ainsi le lent passage des cinq puissances de la science
grecque aux lois de la thermodynamique de la science du XIXème
siècle
Mais aussi la rapidité inouïe,
la voie étant ouverte, avec laquelle se succèdent
découvertes et applications : par exemple, en trente ans
- de 1880 à 1910 -, le microorganisme et ses fonctions
mis en évidence, microbiologie, sérothérapie,
immunologie, vaccins, ont bouleversé les disciplines scientifiques,
transformé le paysage médical et les mentalités,
comme quarante ans plus tard, l'explosion des antibiotiques, comme
dans les dix dernières années de ce siècle
la déferlante informatique.
L'historien des sciences, l'épistémologue, le sociologue
des sciences ne cessent de s'interroger sur ce qu'ils pensent,
rétrospectivement, être retard, décalage,
accélération. Pourquoi, se demandait A. Koyré,
dans un article bien connu4, le machinisme est-il né au
XVIIème siècle et non vingt siècles plus
tôt, notamment en Grèce ? On sait la solution de
convenance qu'il propose : il est impossible dans le monde hellenique
de penser mathématiquement le mouvement terrestre - sub-lunaire
-, seuls les mouvements des sphères et des astres, qui
incarnent les entités mathématiques, peuvent être
calculés. Double exception néanmoins : la précision
dans la pesée des métaux précieux et la mesure
des distances et des hauteurs grâce au théodolite
dessiné par Vitruve. Mais A. Koyré confesse que
toute solution nous "ramène tout simplement au fait"5
que jamais l'histoire ne peut éliminer : la Grèce
n'a élaboré ni physique véritable, ni technologie
Le
sociologue des sciences, de son côté, attentif aux
procès de production, à la main-d'uvre servile,
aux opérations politiques et militaires, en reviendra lui
aussi au fait : Galilée vient après Archimède,
le monde hellénique n'a connu ni les lois de la dynamique
ni la mesure précise du temps.
Que comprendre et que conclure de la constatation du fait scientifique
? Il est tout aussi difficile de trouver que de comprendre comment,
pourquoi on a trouvé. L'importance de ce que l'on trouve
- le nouveau monde, le calcul infinitésimal -, son degré
d'importance, seraient fonction, si l'on suit l'Encyclopédie,
de son caractère "curieux et utile". Poursuivons
le commentaire de ce texte qui appartient aux Lumières
: les deux adjectifs, curieux et utile, qualifient sans aucun
doute le même objet, l'objet de la découverte, mais
un objet déplacé dans le temps. Curieux, l'objet
qui pose une énigme, délectation du collectionneur
ou point de départ de l'investigation méthodique
- le fossile des collections du duc d'Orléans, ou la déviation
de la lumière polarisée par les formes cristallisées
des produits organiques ; utile, l'objet dont l'énigme
a été pour un temps, pour une part résolue
: le fossile quitte l'ostentation du cabinet de curiosité6
et devient l'argument du savoir géologique, la condition
du savoir paléontologique, l'échelle des temps préhistoriques,
une autre échelle du temps; le polarimètre devient
l'instrument indispensable d'analyse de la stucture des corps
organiques et fonde la stéréo-chimie, attentive
à la disposition spatiale des atomes dans une molécule
donnée.
Cet objet curieux est donc devenu utile - utile en bien des sens
: utile à la compréhension, utile à l'utilisation,
utile aux métamorphoses et au développement. Comme
sont devenus utiles les émerveillements devant le nouveau
monde, la flore, la faune, les hommes. Nos étudiants, encore
une fois, n'avaient pas tort d'hésiter sur le sens que
l'on peut donner à l'expression "les grandes découvertes".
L'extension de l'univers connu et habité, habitable - les
grandes découvertes - ne peut pas être comprise seulement
comme l'aventure de navigateurs audacieux, soutenus par les puissances
maritimes à la recherche de nouveaux marchés et
de nouvelles ressources. Route de l'or, route de la soie, certes,
mais aussi découvertes, hypothèses scientifiques,
qui président, accompagnent et suivent le périple
et le rendent possible. Du XVème au XVIIème siècle,
de la galère à la caravelle, à la caraque
puis aux "navires de Gama et de Magellan"7, une technologie
maritime efficace se met en place, outre l'apparatus scientifique
- technologie savante - qui relève du perfectionnement
et de l'invention : boussole à pivot, quadrant, calcul
des longitudes, horloges garde-temps, cartographie.
Le terme apparatus, usuel en anglais, n'a pas de véritable
équivalent en français : dispositif, appareil disent
les dictionnaires. Mais l'Oxford Dictionary est plus précis
: "Equipment for doing something, esp. Scientific experiment;
organs effecting a natural process." Apparatus désigne
l'objet, les objets qui relèvent de la science et de la
technique, conditions réciproques de l'invention scientifique
et du perfectionnement technique. C'est un lieu commun pour l'historien
des sciences de rappeler qu'entre le fabricant de lunettes et
le fabricant de télescope, la différence n'est pas
celle de la matérialité du verre, identique ici
et là, mais celle de la disposition des lentilles pour
atteindre un but théoriquement défini - voir ce
qui ne tombe pas sous nos sens, le calculer et le représenter.
Exemplum classique de l'histoire des sciences que la geste galiléenne,
mais d'autres exempla sont tout aussi instructifs, qui ne portent
pas sur la science des êtres intangibles, astronomie et
cosmologie telles que les définisssait A. Comte en son
temps, mais sur le savoir de la figure de la terre que les navigateurs
donnent à voir et que cartographes et géographes
donnent à comprendre en formant les instruments, conceptuels
et matériels, de la représentation. Si, tout récemmment,
une thèse monumentale au sous-titre apparemment modeste
a pu être soutenue, Essai sur les transformations du savoir
géographique au XVIe siècle,8 c'est bien parce qu'un
nouveau regard s'est porté depuis trois, quatre générations
sur la géographie comme discipline relevant d'une approche
épistémologique, au même titre que la physique
et les mathématiques, ayant forgé ses instruments
d'analyse, ses concepts propres, ses modalités de représentation,
ses types de démonstration. Il a fallu du temps, depuis
le moment fondateur en France de Vidal de la Blache, et l'obstination
des Philippe Pinchemel, Paul Claval, Numa Broc, Marie-Claire Robic.
Et pourtant, dès 1765, Emmanuel Kant annonçait son
cours de "géographie physique", étendue
à la "géographie morale et politique (
)
véritable fondement de toute histoire qui, sans cela, ne
se distingue guère des récits fabuleux".9 Dans
la préface de la seconde édition de la Critique
de la raison pure, (1787), Kant retrace la grande route de la
science, identifie les disciplines fondatrices, logique, mathématique
et physique, introduit la chimie de Stahl, ponctue les "illuminations"
qui ne peuvent s'expliquer que par une " révolution
subite de la pensée "10, par des noms éponymes
devenus classiques, Aristote, Copernic, Bacon, Galilée,
Torricelli, Stahl. Il ne mentionne pas la géographie qui,
pourtant, selon lui, est fondée comme la physique sur des
principes empiriques, ne détermine pas a priori son objet
comme les deux connaissances théoriques de la raison que
sont la logique et les mathématiques.
Le commentaire de l'expression "découvertes scientifiques"
imposait ce détour par la géographie - expression
ambigüe, nous l'avons dit, à partir du moment où
peuvent être dites "grandes" des découvertes
comme celles des satellites de Jupiter, de l'isochronisme du pendule
ou de la thermodynamique : elles aussi ouvrent des mondes nouveaux.
Interférence, ambiguïté entre invention et
découverte, à la limite synonymie, nous dit Littré
: "La découverte montre ce qui n'était pas
connu ; l'invention combine des conditions connues, d'une manière
nouvelle. On dit la découverte de l'Amérique et
non l'invention ; et au contraire l'invention de la poudre à
canon beaucoup mieux que la découverte. Toutefois, dans
un sens général, ces deux mots se prennent très
bien l'un pour l'autre."11
* * *
Nous faisons ici l'économie du "progrès
insensible des commencements" de la pensée scientifique12:
histoire longue, histoire éclatée entre vestiges
et textes rares. L'art pariétal permet au préhistorien
une approche du sens du sacré chez l'homme des commencements,
les objets lui permettent d'analyser une maîtrise technique;
on peut sans doute créditer ce même homme du désir
de savoir, d'un étonnement dont la science serait la fille,
nous dit la tradition grecque. L'historien identifie les différents
foyers où, à des dates différentes, dans
des temps très anciens, le savoir s'est distingué
du savoir-faire - Chine, Mésopotamie, Egypte, Grèce
- , où l'empire du nombre s'est constitué, où
la représentation s'est codifiée.
Cette économie tient à trois raisons. La première
est l'impossibilité de couvrir un champ chronologique et
thématique allant, pour reprendre l'expression du professeur
M. Hietala, de la Mésopotamie à Einstein, a fortiori
au cours d'une demi-journée de Congrès ! En deuxième
lieu, l'analyse historique procède de la critique (philosophique)
de la notion d'origine : le "fait premier" n'est pas
l'origine, mais une trace repérée du phénomène,
trace dont chaque historien sait qu'elle est provisoirement première,
dépendant de "l'invention" d'un fait nouveau.13
L'épistémologue, quand il parle d'origine, traite
en fait des conditions de possibilité, logiques et matérielles,
du phénomène, qu'il s'agisse d'un procédé
ou d'un concept - "recherches plus propres à éclaircir
la nature des choses qu'à montrer la véritable origine,
et semblables à ceux que font tous les jours nos physiciens
sur la formation du monde."14 Il n'est pas de temps zéro
en histoire des sciences pas plus qu'en histoire tout court ;
seuls le mythe et le conte peuvent tenir un discours en termes
d'origine. Nous sommes donc contraints - et c'est la troisième
raison - à nous reporter à un espace-temps défini,
limité et isolé par le sens attribué aux
"découvertes scientifiques", au savoir scientifique
transmis et reçu.
Le temps long et l'espace éclaté
sont ceux des commencements, alors que nous sommes ici confrontés
à une histoire relativement récente, ouverte par
ce qu'il est convenu d'appeler la "révolution"
accomplie par la science classique, Vésale et Copernic
(1543) servant classiquement de repères. Cette histoire
est la nôtre, elle se poursuit dans un espace qui tend à
s'unifier, sinon à s'uniformiser. Le climat, les hommes
et les murs sont barrières à l'uniformisation.
Il n'empêche : la transmission et la réception du
savoir scientifique unifient un espace, l'espace-monde. L'universel
logique de la science moderne tend - ou prétend - à
l'universel géographique, si bien que l'expression "science
occidentale" est en fait discutable aux deux bouts de la
chaîne. Au commencement, mettons au XVIIe siècle,
la révolution scientifique de l'âge classique n'a
pas été en rupture totale avec les systèmes
de connaissance non européens qui l'ont précédée
: l'astronomie chinoise, l'algèbre arabe, l'organisation
hospitalière du monde islamique sont utilisées,
naturalisées, même si l'idéologie des scientifiques,
singulièrement à partir du XIXème siècle,
tend à faire de la science moderne un phénomène
exclusivement européen.15 Aujourd'hui, multiples sont autour
du monde les lieux où se trouvent, pour parler comme Candolle,
"ceux qui cherchent, qui découvrent, qui inventent"
et non seulement "ceux qui savent" et transmettent le
savoir16 : le chercheur scientifique (scientist) qui remplit une
fonction plus qu'il n'occupe un état, réside dans
des laboratoire qui peuvent être reconstitués partout.
La mondialisation n'est pas seulement celle de l'information et
du commerce. Le savoir scientifique peut apparaître comme
un universel abstrait, il est en fait concrétement présent
dans un ensemble de savoirs et de comportements qui constituent,
en un temps et en un lieu donnés, un milieu, une culture,
une civilisation, mais intellectuellemnt distincts de lui : par
exemple, notre planète se donne désormais comme
un "village global" dont le laboratoire à l'américaine,
à la japonaise ou à l'européenne, peut se
reproduire avec les mêmes compétences et la même
efficacité en Inde, par exemple; la population des scientifiques
indiens parlant anglais et publiant dans les meilleures revues
demeure néanmoins une minorité dans l'océan
de la population du sous-continent qui parle tant d'autres langues.
Les spécificités culturelles qui n'ont rien à
voir avec la science moderne n'empêchent pas l'espace du
laboratoire, la salle de séminaire, le tableau noir, les
instruments et appareils - des ordinateurs aux accélérateurs
de particules - de rassembler des individus aux appartenances
(et aux convictions religieuses) très diverses, mais qu'unifie
"l'internationale de la science" dont on ne peut plus
dire sans d'infinies nuances qu'elle est occidentale, européenne,
nationale ou impériale.
Transmission et réception du savoir scientifique, dans
cette configuration, peuvent s'entendre en deux sens : à
l'intérieur de "l'internationale de la science",
les mécanismes de la constitution du savoir sont multiples
(reconnaissance par la communauté de la validité
d'une découverte, de la priorité d'un individu ou
d'une équipe, consensus autour d'une proposition). Le mécanisme
de la preuve est bien travaillé depuis trois, quatre décennies
: au "vrai, signe de lui-même" comme disait Spinoza,
s'est ajoutée (substituée ?) l'analyse fine des
négociations et des jeux de pouvoir au sein de la communauté
scientifique. Oppositions féroces, querelles interminables,
extrémismes et caricatures, mais au bout du compte des
retombées non négligeables : l'événement
scientifique est bien reconnu comme un phénomène
global, constitué aussi bien par la démonstration
et l'expérimentation que par les réseaux, les oppositions
personnelles, les financements, les programmes, le complexe militaro-industriel.
Une des illustrations de ce changement est l'importance donnée
aujourd'hui à l'étude des controverses scientifiques.
L'idéologie scientiste du siècle dernier, encore
présente, avait présidé à l'écriture
d'une histoire des sciences purifiée de toute passion,
sinon la passion de la recherche. La sociologie et l'anthropologie
ont nourri dans ce siècle l'histoire des concepts scientifiques
de chair et de sang, une histoire parfois pleine de bruits et
de fureurs.
* * *
Transmettre et recevoir : ces deux verbes
sont actifs, doublement actifs. Il n'y a pas de transmission sans
réception, recevoir suppose que la greffe puisse prendre,
que le terrain soit propice, quelles que soient les modifications
qui s'ensuivent. Ils s'entendent d'un lieu à l'autre, d'un
temps à l'autre, d'une culture à une autre, d'une
forme à une autre, d'une langue à une autre. Ils
supposent des acteurs qui sont des passeurs . Tout traducteur
est un passeur, mais de bien autre chose que le mot: une traduction
n'est jamais neutre. Chacune des sept contributions de notre session
développe, sur des exemples précis et techniques,
un des thèmes que nous venons d'évoquer. C'est à
leurs textes que nous revenons maintenant.
L'une d'entre elles, celle de R. Rashed, traite le problème
majeur de la traduction du grec en arabe : les deux exemples analysés
appartiennent au IXème siècle. Toutes les autres
contributions portent sur la science moderne et contemporaine,
celle dont on dit qu'elle est occidentale. Il n'y a pourtant aucun
disparate entre celles-ci et celle-là. Il faut ici oublier
les chronologies événementielles, linéaires.
Les deux exemples, développés par R. Rashed, mathématique
et optique, mettent en place les conditions de possibilité
de la science moderne , de la révolution de l'âge
classique , identifiée au principe fondateur, la nature
est écrite en langage mathématique ; mais aussi
les conditions de possibilité du passage.
La traduction, nous dit-il, est une des formes du couple transmettre-recevoir,
traditionnellement privilégiée dans l'analyse de
l'héritage de la science hellénique, dans l'histoire
des sciences arabes et des transcriptions latines. Vision "totalisante,
passive, livresque", fondée sur un triple oubli :
- l'oubli des contributions fondatrices au moment même de
la transmission, contributions du receveur qui explique le besoin
de la traduction et modifie le vocabulaire d'origine. R. Rashed
donne l'exemple d'al-Khwarizmi dont l'uvre d'algébriste
précède la traduction des Arithmétiques de
Diophante et, conceptuellement et linguistiquement, est utilisée
par le traducteur Qusta ibn Luqa.. La traduction est plus et autre
que l'uvre traduite; il n'est pas de traduction, il n'est
pas de transmission sans recherche active ;
- l'oubli que la "science" est un savoir parmi d'autres
et que l'analyse de sa transmission suppose "une démarche
différentielle, respectant les clivages entre science et
philosophie, mais aussi entre les sciences elles-mêmes "
;
- enfin, l'oubli que le livre, le manuscrit qui attestent, sont
des véhicules parmi d'autres de la transmission. Le geste,
l'objet, l'institution sont autant de "passeurs" du
savoir scientifique.
Deux contributions, dans un tout autre contexte et dans un autre
temps, récusent, elles aussi, la simplicité orientée
(le simplisme ?) du modèle diffusionniste, du centre à
la périphérie, de l'intensité au foyer des
Lumières à leur probable atténuation, de
l'universel au local. L'universel logique n'est pas nécessairement
un universel géographique17 : le désir de savoir
est bien un universel, quelle que soit la forme que revêt
le savoir, mais il se développe et ne peut se comprendre
que suivant des axes pluralistes. Ethnologues et anthropologues
nous ont enseigné la diversité des cultures. Malgré
le prestige, la réussite de la science moderne et celle
du système technique contemporain, cette diversité
doit être préservée, au même titre que
la biodiversité, en cherchant à éviter le
double écueil qui consisterait soit à penser la
différence des cultures en termes d'un conservatoire de
formes figées, soit à les anéantir au nom
d'une forme de rationalité unique, dans l'inconcevable
oubli des lieux, des climats et des murs dont Montesquieu
a souligné le poids.
Nous avons deux exemples magistralement analysés de ce
que j'appellerai une épistémologie anthropologique.
Comment, aux temps de la constitution de l'empire - l'Empire britannique
aux Indes de la deuxième moitié du XVIIIème
siècle jusqu'à la fin du XIXème siècle
- , dans l'asymétrie du contexte colonial, ont pu être
menés à bien l'enquête et les relevés
topographiques du sous-continent, la publication de la première
carte de l'Inde (1783), avant toute carte fiable de l'Angleterre,
par James Rennel (1742-1830), le père de la géographie
britannique, ce qui lui valut la médaille Copley décernée
par la Royal Society en 1791. Cet hommage du centre à la
périphérie ignorait la manière dont cet "objet"
avait été construit, et c'est le propos de K. Raj
de le retracer. Croisement des pratiques de mesure traditionnelles
- la baguette, la journée de marche, le corps de l'homme
- , l'utilisation des données administratives de l'Inde
pré-coloniale, bref le projet de représentation
scientifique unifiée de J. Rennel. Transmission et réception,
mais surtout véritable synthèse pour la production
d'une carte, symbole de la science géographique, instrument
du pouvoir politique et militaire, paradoxalement sans le recours
à l'apparatus largement utilisé dans les expéditions
savantes du XVIIIème siècle, par exemple la triangulation,
un des symboles du voyage en Laponie de Maupertuis, commanditée
par l'Académie Royale des Sciences (1736-1737) .Mais il
s'agissait alors et là-bas de mesurer l'aplatissement aux
pôles du globe terrestre et de donner raison à Newton
"qui avait tout trouvé sans sortir de sa chambre"
En Inde encore, mais dans le contexte de
l'Indépendance, D. Kumar a affaire à double réception,
double transmission: il est un historien du temps présent,
un sociologue des deux cultures, un analyste du savoir technico-scientifique
aujourd'hui, dans l'Inde du XXème siècle et du XXIème
siècle. Il ne peut faire l'économie de l'histoire
du long temps où se sont confrontés, échangés,
modulés les savoirs et les gestes dans l'Inde coloniale
et dans l'Angleterre impériale, l'Angleterre des Universités,
accueillante aux hautes castes (outre les structures scientifiques
parallèles), pleinement indiennes : par exemple , l'effet
Raman vaut à son auteur C. V. Raman (1888-1970) le prix
Nobel de physique en 1930, mais c'est à Calcutta, à
l'Indian Association for the Cultivation of Science, créée
en 1876 sous la double référence de la Royal Institution
of London et de la British Association qu'il a commencé
et poursuivi ses recherches18. Un exemple parmi d'autres, pour
ne pas parler des très longs temps antérieurs.
D. Kumar se donne le discours du développement comme objet
d'analyse et ne peut pas faire l'économie des confrontations,
des oppositions, des choix que depuis l'Indépendance -
plus d'un demi-siècle - scientifiques et politiques affrontent.
L'expression recherche et développement fait partie classiquement
du vocabulaire international des politiques et des économistes
qui ont mis au point des instruments d'analyses, des indicateurs,
qui ont collecté des données, établi des
corrélations. Le champ disciplinaire existe fortement.
J. D. Bernal a publié en 1939 un livre fondateur, The Social
Function of Science, la réussite du projet Manhattan a
démontré l'efficacité de l'effort scientifique
programmé au temps de la Deuxième Guerre mondiale
; ce qui avait "marché" pour la guerre pouvait
marcher pour la paix, quel qu'ait été le contexte
de la guerre froide et des zones d'influence. J. D. Bernal fut
un des interlocuteurs de Nehru, conscient de l' "utilisation
of research on slow and long-term developments"19. Prestige
et développement, autre sens du couple transmission-réception
: le discours technique des politiques de développement
suppose, pour être efficace, le passage possible, dans les
deux directions, du scientifique et de l'économique, sur
fond de politique de l'éducation. A l'échelle du
sous-continent, entre concentration et centralisation, l'enjeu
et le défi se situent sans doute ailleurs, un ailleurs
qui ne relève ni de la décision politique ni de
l'obligation scolaire : les lieux où se poursuivent des
recherches et des enseignements scientifiques et techniques de
l'ordre de l'excellence, à l'aune de l'évaluation
internationale ; les lieux où se développe une éducation
de masse, à l'aune d'une population en majorité
rurale et d'un sous-continent.
C'est dans le registre de l'anthropologie épistémologique
que le Professeur C. Sasaki examine un des mécanisme de
la transmission de la science occidentale dans le Japon du Meiji
(1868): le jeu des acteurs qui structurent et légitiment
la communauté savante sur quatre, cinq générations.
En fait, dans son récit, tout commence à la fin
de la période Tokugawa, avec un médecin-traducteur,
Genpo Mitsukuri (1799-1863): il traduit la médecine hollandaise
d'abord, puis les disciplines les plus variées, y compris
l'histoire des sciences entendues au sens occidental. Commence
avec lui une saga familiale : mariage des filles avec les plus
doués des disciples, petits-fils et petits-gendres formés
aux disciplines, au Japon et hors du Japon - Allemagne, Angleterre,
Etats-Unis -, tous passeurs d'Ouest en Est et de génération
en génération. L'Europe connaît les dynasties
scientifiques, les Bernouilli, Cassini, Jussieu, Huxley, Curie
- le Japon aussi. Ici, comme en Europe, les structures de parenté
ne sont pas immédiatement repérables par le nom
pour le non-initié, lorsqu'il s'agit de neveu ou de petit-gendre,
mais ici, comme en Europe, la "reproduction" à
la Bourdieu fonctionne fort bien en se diversifiant à l'intérieur
de la communauté.
"Deux découvertes qui se touchent
dans l'esprit humain sont quelquefois séparées par
des siècles". Nous avons déjà cité
cette phrase de Diderot, qui nous semble être introduction
parfaite à la contribution du professeur Nakayama. Séparées
par des siècles, les observations de l'astronome chinois
du XIIIème siècle Kuo Shou-ching, et l'utilisation
qu'en fait, en 1811, P.S. Laplace, qui l'appelait " le Tycho
de l'Est ", pour appuyer sa théorie de la variation
séculaire de la valeur de l'angle formé par l'écliptique
et l'équateur. Trois points doivent être soulignés,
de nature différentes, tous susceptibles d'éclaircissements
et de discussions :
- la transmission des tables d'observations chinoises d'Est en
Ouest, uvre sans doute de ces remarquables passeurs que
sont les jésuites sinologues et mathématiciens:
quels ont été ,en sens inverse, la curiosité
et l'accés à ces tables de Laplace qui n'avait pas,
comme J.-B. Biot, la chance d'avoir un fils sinologue ?
- la précision des observations, enregistrant les variations
séculaires des paramètres astronomiques, n'est pas
liée à l'instrument mais à la pensée,
pensée d'un ciel soumis au changement, concevable pour
la pensée chinoise, inconcevable pour la pensée
grecque;
- la marge d'erreur dans les observations du temps au solstice
et à l'équinoxe est de l'ordre de la minute dans
les observations de Kuo, de plusieurs heures pour l'astronomie
islamique, de l'ordre du jour pour les Grecs : les données
sont ici saisies dans le cadre d'un fondamentalisme numérique
(système décimal, refus de la représentation
géométrique).
Pourrait-on dire que Laplace pouvait recevoir ce qui lui était
transmis dans la mesure où son uvre est essentiellemnt
constituée par les applications de l'analyse mathématique,
dans deux directions principales, la mécanique céleste
et la théorie des probabilités ?
Laplace et
Kuo Shou-ching, séparés par des siècles,
mais animés du même esprit ?
C'est dans un autre espace, l'espace du laboratoire, dans un temps
qui est quasi le nôtre, le temps de la recherche fortement
institutionalisée, que nous poursuivons la présentation
de deux contributions, groupées pour ces raisons. Dans
un cas, The Discovery of the Bosons at CERN , John Krige explore
un temps très court - janvier 1983, décembre 1984
-, le temps nécessaire à l'affirmation, puis à
la reconnaissance par la communauté des physiciens des
hautes énergies, au CERN comme hors du CERN, de la découverte
d'une nouvelle particule, le W boson. L'enjeu de cette exploration,
ponctuée par trois dates, (janvier 83, juillet 83, décembre
84), menée et discutée en des lieux différents,
(Genève, Rome, New-York, Brighton), est de montrer "qu'une
découverte sans transmission est une abstraction",
que la réponse à la question "où et
quand une découverte a été effectuée",
en l'occurrence cette particule, est comme la question dépourvue
de sens. La première question met entre parenthèses
le mécanisme de transmission, discussion, réception
qui transforme l'hypothèse en fait avéré
et en proposition démontrée; cette hypothèse
a été prudemment publiée pour assurer les
priorités nationales et internationales, y compris la priorité
d'une des deux équipes du CERN, même si les recherches
y étaient menées en parallèle et en concertation.
La deuxième question met entre parenthèses le temps
réel du travail scientifique, le long temps en amont et
en aval de la publication, des publications.
Cas exemplaire, analysé dans la logique interne de la physique
des hautes énergies (le grand accélérateur
de particules, la difficulté de l'interprétation
des traces, la rareté des "événements"
dans un rapport de six à un million au point de départ,
l'accord avec le Modèle Standard des interactions nucléaires)
et dans la logique des stratégies personnelles et institutionnelles.
La phrase qui accompagne la nomination au Prix Nobel de physique
de Carlo Rubbia et de Simon van der Meer en décembre 1984
, "for their decisive contribution to the large project,
which led to discovery of the field particles W et Z" ne
dit pas autre chose, pour qui sait lire : la "découverte
scientifique" relève d'un ensemble, dans un champ
disciplinaire vivant, animé par une communauté de
chercheurs; elle doit circuler pour être confirmée,
avant d'être confirmée. Transmettre n'est pas imposer,
recevoir n'est pas acquiescer. Pour reprendre le mot de David
Baltimore, cité par J. Krige, "la littérature
scientifique est une conversation entre scientifiques", elle
se distingue du manuel comme du catéchisme.
Dans l'autre cas, Bernadino Fantini et Bruno Strasser cherchent
à comprendre pourquoi il a fallu presque vingt ans - 1950-1970
- pour que les savoirs scientifiques développés
par les biologistes moléculaires se retrouvent dans les
laboratoires hospitaliers des médecins et des chercheurs.
La réponse et l'analyse sont convaincantes. Si notre temps
est un temps où le texte, la traduction, les savoirs sont
immédiatement disponibles, sur tout point du globe; ils
ne sont pas pour autant transmis, c'est-à-dire reçus.
Pour qu'ils soient transmis et reçus, il est nécessaire
qu'ils voyagent, sous la forme d'une culture matérielle,
réappropriée localement. Objets, outils et gestes,
un apparatus encore une fois - le microscope électronique,
l'électrophorèse, l'ordinateur - , passent du laboratoire
du fondamentaliste au laboratoire du pathologiste et du généticien.
Les objets parlent, il faut savoir les écouter, les objets
voyagent
André Lwoff, prix Nobel de physiologie et
de médecine en 1965, avec Jacques Monod et François
Jacob, racontait le voyage de la pipette, en 1945-1946, de l'Institut
Pasteur vers les Etats-Unis, vers Harvard si mes souvenirs sont
bons : il y voyait le début de l'intérêt et
de l'appui américains pour les travaux qui se poursuivaient
dans le grenier de l'Institut Pasteur. La philosophie ne voyage
pas, disait Rousseau dans la célèbre note X du Discours
sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes. Mais
les objets voyagent, eux, et parlent, pour ceux qui savent les
écouter.
List of papers .. (in French ..)
Notes
1 Jean Favier, Les grandes découvertes
d'Alexandre à Magellan, Paris, Fayard 1991, p.566: "Le
samedi 6 septembre 1522, la Victoria accoste à San Lucar.
Des 265 hommes partis avec Magellan, des 60 qui ont quitté
les Moluques, il en reste 18
Mais un navire a pour la première
fois fait le tour du monde".
2 La lettre à Monsieur Dacier, secrétaire perpétuel
de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, est du
22 septembre 1822, rééditée avec une post-face
de Jean-Claude Goyon, "La bataille des hiéroglyphes",
Paris, Fata Morgana 1989.
3 Diderot, Salon de 1756.
4 Alexandre Koyré , "Du monde de l'à-peu-près
à l'univers de la précision" (Critique, n°28,1948)
in Etudes d'histoire de la pensée philosophique, Paris,
A.Colin 1961.
5 Ibid., p.311.
6 Antoine Schnapper, Le Géant, la licorne et la tulipe
. Collections et collectionneurs dans la France du XVIIème
siècle, vol.I ,hhistoire et histoire naturelle, Paris,
Flammarion, 1988.
7 Jean Favier, op.cité, p.324.
8 Jean-Marc Besse, Les grandeurs de la terre. Essai sur les transformations
du savoir géographique au XVIème siècle,
thèse de l'Université Paris I, Panthéon-Sorbonne,
3 vol. , 562 pages et 137 pages, 1999.
9 Emmanuel Kant, "Annonce pour le semestre d'hiver 1765-1766",
tr.Jean Ferrari, pp.521-522, in uvres philosophiques, I,
Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris 1980.
Kant a enseigné la géographie physique aux étudiants
de Koenigsberg de 1756 à 1796.
10 Ibid., p.737.
11 Emile Littré, Dictionnaire de la langue française,
article "Découverte", SYN. Découverte,
invention. A l'article "Invention", le sens 7 mentionne
en ces termes l'usage habituel en archéologie : "Découverte
de certaines reliques. L'invention du corps d'un saint".
12 Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'origine de l'inégalité
parmi les hommes, II, in uvres complètes, Bibliothèque
de la Pléiade, Gallimard ,Paris 1964.
13 Claire Salomon-Bayet, "La science moderne et la coexistence
des rationalités ", Diogène n°126, avril-juin
1984, pp.3-21.
14 Jean-Jacques Rousseau, op.cité, p.133.
15 Roshdi Rashed, "La notion de science occidentale",
Entre arithmétique et algèbre, Recherches sur l'histoire
des mathématiques arabes, Les Belles-Lettres, Paris 1984,
pp.301-318.
16 Alphonse de Candolle, Histoire des sciences et des savants
depuis deux siècles, 1873, p.18, rééd. Corpus
des philosophes français, Fayard, Paris 1987.
17 Claire Salomon-Bayet, article cité, p.18-20.
18 C.V. Raman. A Pictorial Biography, Indian Academy of Sciences,
Bangalore 1988.
19 Deepak Kumar, Science and Society in Colonial India Exploring
an Agenda , Indian History Congress, déc. 1999, p.27, note
80.
The consolidation of discovery by transmission and reception
John Krige, France
Discovery, transmission, reception: a linear
model of how scientific knowledge is produced and circulates.
A model which sees knowledge as a commoditywhich diffuses from
the producer/discoverer to the recipient who passively and uncritically
consumes it. This paper aims to challenge that model, to argue
that transmission and reception, while analytically distinct phases
in the process of scientific knowledge production are not separate
from, but constitutive of, discovery. Scientific discoveries do
not leap spontaneously to the eye; they are difficult to establish
and they have important implications for the current state of
knowledge and the regimes of power which go along with it. When
they are first put forward the truth claims in which they are
embedded are necessarily contested. The evidence for them is often
ambiguous, and open to different interpretations. The consequences
of accepting them will accord credit and cognitive authority,
influence and power to the individuals and institutions which
have made them. A scientific discovery is not an act of individual
insight, though it might require a leap of genious to put a novel
and provocative hypothesis on the agenda for scientific work.
It is the collective outcome of an historical process in which
an important truth-claim circulates inside the community affected
by it, (is transmitted and received, and retransmitted), and is
critically evaluated and transformed. A scientific discovery is
a social accomplishment.
To illustrate these ideas this paper will describe how an important
new discovery in high-energy physics came to be accepted as such
by key members of the community. The finding in question was made
at CERN (the European Laboratory for Particle Physics in Geneva)
in January 1983 of a heavy subatomic particle called the W boson.
Without going into technical details, I shall unravel the gradual
growth in conviction that what the scientists in the two rival
teams working independently at CERN themselves called 'candidates'
for the boson did indeed constitute good reasons for believing
that the particle had been discovered. The circulation and critical
evaluation of the candidate events inside each team, between one
team and the other, and into the international community through
publication in the scientific literature and presentation at scientific
meetings, as well as press conferences, played a fundamental role
in consolidating the discovery as such. Six months after the first
announcement had been found. In recognition of their achievement
two CERN scientists, Carlo Rubbia and Simon van der Meer were
awarded the Nobel prize for physics in 1984. The former was nominated
the new Director General of the Geneva laboratory in the same
year.
The mutual reshaping of geographical knowledge in cultural exchange: Britain and India in the late-eighteenth and early-nineteenth centuries
Kapil Raj, France
The idea that science can be likened to a commodity and its diffusion analysed in purely economic terms has been contested over the last fifteen years, showing clearly that the processes involved in its transmission and reception are complex, depending less on the rational abilities of the receiving society than on its intellectual and political traditions and institutions. A more promising approach seems, however, to take shape if one looks at science as a constant process of the making and transformation of knowledge. In this perspective, the case of geographical surveying in British India in the period between 1760 and 1850 provides a good illustration of the way in which the knowledge and know-how of the Indian and British traditions meet aroud specific projects - showing, in passing, the actual context whithin which scientific knowledge gest transmitted - and get mutually transformed through negotiation to give rise to new knowledges which would not have existed but for the context of encounter.
Le Savoir Voyageur, ou l'impossible
Transmission du Savoir Scientifique
Bernadino Fantini/Bruno J. Strasser,
Switzerland
Les savoirs des technosciences contemporaines
se transmettent aujourd'hui presque instantanément d'un
point à l'autre du globe. L'histoire de la transmission
des savoirs est celle des supports de la connaissance: la voix,
mais surtout le texte et l'image. Cette histoire est donc aussi
celle de la diffusion de ces supports: l'histoire des voies de
transport terrestres, maritimes, aériennes ou virtuelles.
Les savoirs, tout comme les personnes et les biens sont transportés
à une vitesse toujours plus grande, et livrés à
leurs destinataires dans un état toujours plus inaltéré.
Celui qui traversait I'Europe était, il y a moins d'un
siècle, un voyageur; il était transformé
par cette aventure. Aujourd'hui, il n'est plus un voyageur. Il
se retrouve indemne, comme téléporté, dans
une salle de conférence distante de milliers de kilomètres
de son lieu origine. Les savoirs des technosciences font encore
mieux, puisque depuis peu, ils sont transmis intactes, virtuellement
et instantanément. Ou du moins, c'est ce que l'historiographie
traditionnelle des sciences a longtemps voulu croire.
Des sociologues de la connaissance scientifique d'abord, des
historiens des sciences ensuite, ont entrepris depuis bientôt
vingt ans une remise en cause radicale de ce modèle général
de la transmission des savoirs scientifiques.1 Le fondement de
leur critique se situe dans leur conception de la nature de ce
savoir. Alors que ce dernier était essentiellement tenu
pour universal, abstrait et mathématisé, ils se
sont rangés & 1'évidence d'un savoir local,
situé, personnel et donc corporel. En étudiant
la réplication des expériences scientifiques, censée
être la garante de l'objectivité de leurs résultats,
ils ont remarqué à quel point cette opération
était difficile, sinon parfois carrément impraticable.
Au lieu de voir là un argument qui minerait le fondement
même du savoir scientifique, ils ont conclu que le savoir-faire
nécessaire à la réalisation des expériences,
ne se transmettait que très imparfaitement par 1'écrit
et l'image. Cette difficulté tient à la nature
même de ce savoir, qui incorpore des é1éments
essentiels de connaissance tacite ou même gestuelle. Sans
ces derniers, au XXe siêcle le phénomène du
laser ne peut être produit au laboratoire,2 et au XlXe la
mesure de 1'équivalent chaleur-travail ne peut être
établie.3 Aussi, puisque savoir et savoir-faire sont intimement
liés, (ou représentations et moyens d'intervention
sur la nature),4 ces études soutiennent l'idée que
le savoir scientifique ne peut se transmeftre, au sens d'une reproduction
parfaite en différents points de 1'espace. D'ailleurs,
si les savoirs se transmettaient si facilement, les voyages fréquents
des chercheurs modernes ne s'expliqueraient que par leur goût
pour le tourisme.
Cette nouvelle compréhension du savoir scientifique est
le résultat, chez les sociologues des sciences, de leur
intérêt pour la connnaissance scientifiques, plutôt
que des institutions -qui la produisent. Chez les historiens
des sciences, elle résulte d'une attention accrue accordée
à la microhistoire (et à l'histoire locale) plutôt
qu'à la macrohistoire (et aux "big pictures"),
au "temps court" plutôt qu'au "temps long",
aux "temps faibles plutôt qu'aux "temps forts",
aux pratiques scientifiques plutôt qu'aux théories.
Il est pourtant indéniable que les savoirs parviennent
tout de même à circuler. Mais ils sont davantage
comme les voyageurs d'alors, que comme les conférenciers
d'aujourd'hui. Le savoir voyageur, loin d'être transmis
intact, est réapproprié chaque fois autrement par
les différents acteurs sociaux. Ils intègrent le
savoir voyageur dans leur culture matérielle. Cette dernière,
comprenant notamment les instruments scientifique, joue un rôle
particulièrement important, puisqu'elle permet la "re-présentation"
de ce savoir. Le savoir ne peut donc voyager qu'entre des cultures
matérielles semblables.
Nos recherches sur les interactions entre la biologie moléculaire
et la médecine, à partir de 1945, nous confrontent
sans-cesse à ces questions. Pendant des périodes
relativement longues, les savoirs scientifiques développés
par des biologistes moléculaires, ne se sont pas transmises
à des chercheurs médecins, malgré leur communauté
d'intérêts. Nous aurions pu nous en étonner.
Au lieu de cela, nous avons cherché à comprendre
la culture matérielle de ces deux groupes d'acteurs, et
à la suivre dans la durée. Les outils et les gestes
des uns et des autres étaient à l'origine essentiellement
differents. Puis, avant que les humains ou les idées ne
se rencontrent, ce sont les objets, en l'occurrence les instruments
scientifiques qui ont circulé, posant les bases d'une culture
matérielle commune.5 Le microscope électronique,
ou 1'é1etrophorèse, objets communs dans la bolte
à outils des biologistes moléculaires des années
1950 ont, vers la fin de la décennie, timidement fait leur
apparition entre les mains des pathologistes ou des généticiens
de la médecine. Au début, l'utilisation de ces
instruments par les médecins, ne révélait
pourtant en aucune manière une nouvelle façon de
savoir. Le savoir scientifique des biologistes mo1éculaires
n'avait pas encore réussi, faute d'une culture matérielle
commune, à circuler entres les deux groupes sociaux. Ce
n'est qu'une fois qu'ils ont partagé outils et savoir-faires,
que les savoirs ont commencé à circuler. Des alliances
entres biologistes et médecins se sont formées autour
de ces instruments, intensifiant ces échanges.
Les savoirs scientifiques, ne se transmettent et ne se diffusent
pas. lls sont toujours traduits dans la langue d'une culture matérielle
particulière. Pour suivre les voyages des savoirs scientifiques,
il faut suivre les objets matériels qui font exister ces
savoirs. écoutons donc les objets, ils ont des choses à
nous dire.
Notes
1 Pestre D. (1995), "Pour une histoire sociale et culturelle
des sciences." Annales HSS, 50(3), 487-522.
2 Collins H. M. (1985), Changing Order., Replication and Induction
in Scientific Practice, University of Chicago Press, Chicago.
3 Sibum H. 0. (1998), "Les gestes de la mesure. Joule, les
pratiques de la brasserie
et la science." Annales HSS, 4-5, 745-774.
1
4 Hacking 1. (1983), Representing and Intervening, Cambridge University
Press, Cambridge.
5 Strasser B. J. (sous presse), "Microscopes électroniques,
totems de laboratoires et réseaux transnationaux: L'émergence
de la biologie moléculaire à Genève (1945-1960)."
La Revue d'Histoire des Sciences.
Laplace and Chinese numericism
Shigeru Nakayama, Japan
It was Pierre Simon de Laplace, more than
anybody else in the Western worlld, who appreciated the observational
values of Kuo Shou-ching, a thirteenth century Chinese astronomer.
Laplace praised Kuo calling 'the Tycho of the East.' In 1811,
Laplace sought a dated ancient observations which to test his
theory of the secular variation of the value of obliquity (the
angle between the ecliptic and the equator).
Prior to Laplace, no one was prepared to use ancient Chinese
data for the secular variation of astronomical paramerters over
time, because European cosmologies assumed that they did not change.
Even Laplace did not know his idea of the secular variation of
astronomical parameters had been already adopted in Kuo's Hsiao-chang
method in which the length of tropical year changes, as it bevome
shorter as time passed. The Chinese had freely entertained such
idea of changing world, as opposed to Platonic conviction in eternal
heavens.
While Laplace merely employed Kuo's observarion as data for his
theory, I have proved that Kuo's observations of equinox and solstice
time far excelled those of the West. While Greek error was in
the order of days and Islamic measurements erred several hours,
Kuo's measurements err to the order of only minutes. Such Chinese
precision was due to a tradition of Chinese numericism that culminated
in Kuo's work.
The Chinese mathematical system was known to be characteristically
computational and numerical throughout history. Its decimal system
seems to be have originated before 3rd century BC, as employed
for decimal computation and helped perpetuate decimal calculation.
The use of counting rods and also the later invention of decimal
abacus must also have contributed to the exclusion of other methods,
especially the use of geometrical illustrations.
Following the paradigm of the Futien calendar, the algebraic
representation of solar equation of center to the second degree,
Kuo extended it to the third degree. Kuo also replaced traditional
calendrical epoches at a grand conjunction with an astronomically
arbitrary, recent point of origin convenient for decimal calendrical
calculation, thus thoroughly replacing fractions with decimal
numerals. He also employed a quasi-spherical trigonometry purely
numerically without recourse to geometrical figure. Though he
did not claim so openly, all of these was the outcome of his conscious
methodology to exclude geometry. It can be called 'numerical fundamentalism'.
Half a century after Laplace, however, J.B. Biot, many-sided
astronomer and chemist, who had a more satisfactory understanding
of the Chinese system of astronomy with the aid of his son E.
Biot, a young Sinologist, commented in 1862 that without mastering
spherical astronomy, the Chinese could not develop further towards
numerical precision.
Techno-Scientific Knowledge and the
Vision of 'New' India
Deepak Kumar, India
Turn of a century can be a good time for historical reflections. The onset of the 21st century has been treated with a great deal of media hype and forecasts as a century of knowledge and incredible developments, etc. Perhaps every age is an age og transition and change. How did the Indians feel when they entered the 20th century? How did they look at the then excisting techno-scientific knowledge? How different it was going to be from the past? The beginnings saw the apogee of the Empire but things were to change soon. What wsa their vision of 'new' India? How was 'new' knowledge perceived? What new strategies were thought of? even the colinial government had to shift gear and talk aabout development. The new middle class that had emerged out fo the colonial experience, appropirated the right to speak on behalf of all people and pondered over the ways and means to improve their lot. On the new agenda figured technical education, scientific research, medical intervention, agricultural experiments, institutional dissemination of knowledge, etc. Could they succed in making a clear blue-print? Differenceds of opinion and vontroversies digged the discourse all the time. The present paper would aim to discuss not only the contours of the 'development discourse' but also the views that still lay on the margins. The paper will be based on primary documents, tracts, contemporary publications and also the private papers of some Indian scientists and adminstrators.
The Mitsukuri Family and the Transmission
of Western Science to Japan
Sasaki Chikara, Japan
Towards the end of Tokugawa Japan, Dutsch
studies flourished not only in Nagasaki and Edo (now Tokyo) but
also in a rather isolated local town named Tsuyama of the Mimesaka
domain of the Chûgoku district. Tsuyama produced several
eminent Dutch scholars such as Udagawa Yôan (1798-1846)
and Mitsukuri Genpo (1799-1862). Genpo began his professional
career as a clan doctor of Chinese traditional medicine. On moving
to Edo in 1822, he started to learn Dutch medicine under Udagawa
Genshin (1770-1835), Yôan's father-in-law. Genpo translated
quite a few medical and surgical books written in Dutch. He then
shifted his interest from Dutch medicine to Western learning in
general. In 1839 he was appointed an official translator of Western
books by the Tokugawa central government. remarkably, on Perry's
arrival in Edo in 1853 and Putiatin's visit to Nagasaki in the
same year, it was he, among others, who made Japanese translations
of important diplomatic documents. In 1856, he was nominated the
principal professor of the newly established Bansho Shirabesho,
or the Institute for Investigating Barbarian (Foreign) Books,
a predecessor of the University of Tokyo. He is said to have translated
or written as many as 99 books (160 volumes) on medicine, geography,
history, military technology, and many others. He may be considered
to have been one of the fathers of historical science in the Western
style.
Mitsukuri Genpo had no sons, but three daughters. He deliberately
chose his talented disciples of Dutch studies as sons-in-law,
namely Sasaki Shôgu (1821-1847) for his third daughter Chima
in 1844, and Kikuchi Shûhei (1826-1889) for his second daughter
Tsune in 1850. Furthermore, he got married his first daughter
Seki to Kure Kôseki (1811-1879), a medical doctor in Hiroshima,
in 1844 after a failure in her first marriage. Through these marital
relations, Genpo succeeded in having extremely talented grandsons.
Shôgu's son, Mitsukuri Akiyoshi, or Rinshô (I: 1846-1897),
played an important role for importing legal systems of Western
countries. Kôseki's first son Kure Ayatoshi (II: 1851-1918),
was functional for implanting statistics in modern Japan, and
his second son, Kure Shûzô (III: 1865-1932) became
one of Japan's first psychiatrists and a historian of medicine.
Shûhei's first son Mitsukuri Keigo (V: 1852-1871) was excellent
in English studies, but died a premature death; His second son
Mitsukuri Dairoku, later later Kikuchi Dairoku (VI: 1855-1917),
became the very first professor of mathematics at the University
of Tokyo in 1877 on his graduation from Cambrigde University;
His third son Mitsukuri Kakichi (VII: 1857-1909) became professor
of zoology at the University of Tokyo (The Roman numerals indicate
the order of Genpo's grandsons, with the fourth being vacant).
As can be easily imagined, some of Genpo's granddaughters succeeded
in marrying scholars of good reputation, and his great grandsons
also became influential scholars who contributed greatly to the
introduction of Western learning into Japan.
Consequently, the Mitsukuri family might be compared to the Bernoulli
family in seventeenth- and eighteenth-century Switzerland or the
Huxley family in nineteenth- and his grandsons could study various
Western sciences in European countries and in the United States
of America through English, French and German as well as Dutch.
So, the Mitsukuri family can be regarded as a bridge between Dutch
studies in the Tokugawa period and Western sciences after the
Meiji Restoration.