Scientific discoveries: The transmission and reception of scientific learning
Découvertes Scientifiques: Transmission et réception des savoirs

Claire Salomon-Bayet, France

Pour l'historien du politique, pour l'historien tout court, découverte et révolution sont des mots courants et utiles : révolution, au sens de Montesquieu, changement brusque et violent dans la politique et le gouvernement d'un Etat ; découverte, soif de connaître qui porte l'homme à inventer, sans doute, mais aussi à se déplacer pour conquérir l'espace et au besoin l'annexer.1 Pour l'historien des sciences, ces mots font partie du vocabulaire spécifique de la discipline, mais leur emploi, commode dans l'ordre de l'épopée et de l'efficacité pédagogique, soumis à discussions, est l'occasion depuis une vingtaine d'années d'analyses de plus en plus précises, de plus en plus poussées, de plus en plus subtiles pour saisir ce qu'est le temps de la science, dans quel espace elle prend forme.
Le titre de notre session, Les découvertes scientifiques : transmission et réception des savoirs scientifiques, joue sur deux registres différents, très différents, presqu'antinomiques. D'un côté, les découvertes scientifiques et le double sens du terme "découverte". Pour illustrer cette ambiguïté, une anecdote : avec Bertrand Gille, il y a bien longtemps ( j'étais toute jeune assistante à la Sorbonne), nous faisions passer les oraux d'un certificat d'histoire des sciences. Nous avions posé la question des grandes découvertes dans l'optique d'un cours sur les révolutions scientifiques que ponctuaient les noms de Képler, Copernic, Galilée, Huygens, Newton, Lavoisier…Et nous avons eu des improvisations d'étudiants nous parlant, difficilement, de la route de l'or et de la soie, d'un nouveau monde et de l'immémoriale Asie: d'un côté le temps, de l'autre l'espace - le temps de la rationalité occidentale, héroïque, obstinée dans son désir de savoir, de l'autre un espace exploré au-delà de l'espace habité, de l'oecoumène, du bien connu, au risque de l'échec et au péril des mers.
Découverte : "Ce qui est non seulement nouveau, mais en même temps curieux, utile et difficile à trouver, et qui par conséquent a un certain degré d'importance" (Diderot et d'Alembert, article "Découverte" de l'Encyclopédie). La définition de l'Encyclopédie, quatre adjectifs et une évaluation, donne comme toujours à réfléchir et je la reprends ici une fois encore : définition factuelle, concrète, en dehors de toute référence à l'abstraction logique et à la démonstration. La seule connotation qui pourrait être qualifiée d'épistémologique est de remarquer que la découverte est difficile à trouver: elle n'est pas l'enregistrement d'un fait ni la constatation d'une apparence, elle est le résultat d'un travail de réflexion ou d'expérimentation, individuel ou collectif, qui donne à voir des choses qui n'ont jamais été vues, à entendre des choses " inouïes" , pour parler comme Galilée et l'un de ses interprètes, A.. Koyré.
Il n'était pas plus facile d'aller à la découverte des nouveaux monde. Difficulté matérielle, financière, physique de l'entreprise : la conquête de l'espace au XVème siècle comme au XXème siècle a un prix." Difficile à trouver" a ici un double sens: une difficulté qui est risque et danger d'une part - les grands navigateurs sont des aventuriers, comme certains scientifiques d'ailleurs. Une difficulté qui est difficulté intellectuelle de l'autre, tension de l'esprit et puissance de combinaison, combinaisons nouvelles de combinaisons connues, extrême tension qui n'est pas sans danger non plus. Evoquons l'effondrement physique de Champollion le jeune - cinq jours de léthargie - lorsqu'il découvre le triple système d'écriture présent dans les hiéroglyphes enfin déchiffrables (septembre 1822) : le monde de l'égyptologie s'ouvre, se substitue et s'ajoute à l'égyptomanie.2 Une telle découverte opère une véritable révolution dans les sciences, ici sciences historiques et science du langage : le radicalisme du changement est tel qu'il identifie un avant et un après sans retour en arrière possible .


Mais le temps de la découverte n'est ni régulier ni constant. Diderot encore : "Deux découvertes qui se touchent dans l'esprit humain sont quelquefois séparées par des siècles"3, dans les sciences comme dans les techniques. Ainsi le lent passage des cinq puissances de la science grecque aux lois de la thermodynamique de la science du XIXème siècle…Mais aussi la rapidité inouïe, la voie étant ouverte, avec laquelle se succèdent découvertes et applications : par exemple, en trente ans - de 1880 à 1910 -, le microorganisme et ses fonctions mis en évidence, microbiologie, sérothérapie, immunologie, vaccins, ont bouleversé les disciplines scientifiques, transformé le paysage médical et les mentalités, comme quarante ans plus tard, l'explosion des antibiotiques, comme dans les dix dernières années de ce siècle la déferlante informatique.
L'historien des sciences, l'épistémologue, le sociologue des sciences ne cessent de s'interroger sur ce qu'ils pensent, rétrospectivement, être retard, décalage, accélération. Pourquoi, se demandait A. Koyré, dans un article bien connu4, le machinisme est-il né au XVIIème siècle et non vingt siècles plus tôt, notamment en Grèce ? On sait la solution de convenance qu'il propose : il est impossible dans le monde hellenique de penser mathématiquement le mouvement terrestre - sub-lunaire -, seuls les mouvements des sphères et des astres, qui incarnent les entités mathématiques, peuvent être calculés. Double exception néanmoins : la précision dans la pesée des métaux précieux et la mesure des distances et des hauteurs grâce au théodolite dessiné par Vitruve. Mais A. Koyré confesse que toute solution nous "ramène tout simplement au fait"5 que jamais l'histoire ne peut éliminer : la Grèce n'a élaboré ni physique véritable, ni technologie…Le sociologue des sciences, de son côté, attentif aux procès de production, à la main-d'œuvre servile, aux opérations politiques et militaires, en reviendra lui aussi au fait : Galilée vient après Archimède, le monde hellénique n'a connu ni les lois de la dynamique ni la mesure précise du temps.
Que comprendre et que conclure de la constatation du fait scientifique ? Il est tout aussi difficile de trouver que de comprendre comment, pourquoi on a trouvé. L'importance de ce que l'on trouve - le nouveau monde, le calcul infinitésimal -, son degré d'importance, seraient fonction, si l'on suit l'Encyclopédie, de son caractère "curieux et utile". Poursuivons le commentaire de ce texte qui appartient aux Lumières : les deux adjectifs, curieux et utile, qualifient sans aucun doute le même objet, l'objet de la découverte, mais un objet déplacé dans le temps. Curieux, l'objet qui pose une énigme, délectation du collectionneur ou point de départ de l'investigation méthodique - le fossile des collections du duc d'Orléans, ou la déviation de la lumière polarisée par les formes cristallisées des produits organiques ; utile, l'objet dont l'énigme a été pour un temps, pour une part résolue : le fossile quitte l'ostentation du cabinet de curiosité6 et devient l'argument du savoir géologique, la condition du savoir paléontologique, l'échelle des temps préhistoriques, une autre échelle du temps; le polarimètre devient l'instrument indispensable d'analyse de la stucture des corps organiques et fonde la stéréo-chimie, attentive à la disposition spatiale des atomes dans une molécule donnée.
Cet objet curieux est donc devenu utile - utile en bien des sens : utile à la compréhension, utile à l'utilisation, utile aux métamorphoses et au développement. Comme sont devenus utiles les émerveillements devant le nouveau monde, la flore, la faune, les hommes. Nos étudiants, encore une fois, n'avaient pas tort d'hésiter sur le sens que l'on peut donner à l'expression "les grandes découvertes". L'extension de l'univers connu et habité, habitable - les grandes découvertes - ne peut pas être comprise seulement comme l'aventure de navigateurs audacieux, soutenus par les puissances maritimes à la recherche de nouveaux marchés et de nouvelles ressources. Route de l'or, route de la soie, certes, mais aussi découvertes, hypothèses scientifiques, qui président, accompagnent et suivent le périple et le rendent possible. Du XVème au XVIIème siècle, de la galère à la caravelle, à la caraque puis aux "navires de Gama et de Magellan"7, une technologie maritime efficace se met en place, outre l'apparatus scientifique - technologie savante - qui relève du perfectionnement et de l'invention : boussole à pivot, quadrant, calcul des longitudes, horloges garde-temps, cartographie.
Le terme apparatus, usuel en anglais, n'a pas de véritable équivalent en français : dispositif, appareil disent les dictionnaires. Mais l'Oxford Dictionary est plus précis : "Equipment for doing something, esp. Scientific experiment; organs effecting a natural process." Apparatus désigne l'objet, les objets qui relèvent de la science et de la technique, conditions réciproques de l'invention scientifique et du perfectionnement technique. C'est un lieu commun pour l'historien des sciences de rappeler qu'entre le fabricant de lunettes et le fabricant de télescope, la différence n'est pas celle de la matérialité du verre, identique ici et là, mais celle de la disposition des lentilles pour atteindre un but théoriquement défini - voir ce qui ne tombe pas sous nos sens, le calculer et le représenter.
Exemplum classique de l'histoire des sciences que la geste galiléenne, mais d'autres exempla sont tout aussi instructifs, qui ne portent pas sur la science des êtres intangibles, astronomie et cosmologie telles que les définisssait A. Comte en son temps, mais sur le savoir de la figure de la terre que les navigateurs donnent à voir et que cartographes et géographes donnent à comprendre en formant les instruments, conceptuels et matériels, de la représentation. Si, tout récemmment, une thèse monumentale au sous-titre apparemment modeste a pu être soutenue, Essai sur les transformations du savoir géographique au XVIe siècle,8 c'est bien parce qu'un nouveau regard s'est porté depuis trois, quatre générations sur la géographie comme discipline relevant d'une approche épistémologique, au même titre que la physique et les mathématiques, ayant forgé ses instruments d'analyse, ses concepts propres, ses modalités de représentation, ses types de démonstration. Il a fallu du temps, depuis le moment fondateur en France de Vidal de la Blache, et l'obstination des Philippe Pinchemel, Paul Claval, Numa Broc, Marie-Claire Robic. Et pourtant, dès 1765, Emmanuel Kant annonçait son cours de "géographie physique", étendue à la "géographie morale et politique (…) véritable fondement de toute histoire qui, sans cela, ne se distingue guère des récits fabuleux".9 Dans la préface de la seconde édition de la Critique de la raison pure, (1787), Kant retrace la grande route de la science, identifie les disciplines fondatrices, logique, mathématique et physique, introduit la chimie de Stahl, ponctue les "illuminations" qui ne peuvent s'expliquer que par une " révolution subite de la pensée "10, par des noms éponymes devenus classiques, Aristote, Copernic, Bacon, Galilée, Torricelli, Stahl. Il ne mentionne pas la géographie qui, pourtant, selon lui, est fondée comme la physique sur des principes empiriques, ne détermine pas a priori son objet comme les deux connaissances théoriques de la raison que sont la logique et les mathématiques.
Le commentaire de l'expression "découvertes scientifiques" imposait ce détour par la géographie - expression ambigüe, nous l'avons dit, à partir du moment où peuvent être dites "grandes" des découvertes comme celles des satellites de Jupiter, de l'isochronisme du pendule ou de la thermodynamique : elles aussi ouvrent des mondes nouveaux. Interférence, ambiguïté entre invention et découverte, à la limite synonymie, nous dit Littré : "La découverte montre ce qui n'était pas connu ; l'invention combine des conditions connues, d'une manière nouvelle. On dit la découverte de l'Amérique et non l'invention ; et au contraire l'invention de la poudre à canon beaucoup mieux que la découverte. Toutefois, dans un sens général, ces deux mots se prennent très bien l'un pour l'autre."11

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Nous faisons ici l'économie du "progrès insensible des commencements" de la pensée scientifique12: histoire longue, histoire éclatée entre vestiges et textes rares. L'art pariétal permet au préhistorien une approche du sens du sacré chez l'homme des commencements, les objets lui permettent d'analyser une maîtrise technique; on peut sans doute créditer ce même homme du désir de savoir, d'un étonnement dont la science serait la fille, nous dit la tradition grecque. L'historien identifie les différents foyers où, à des dates différentes, dans des temps très anciens, le savoir s'est distingué du savoir-faire - Chine, Mésopotamie, Egypte, Grèce - , où l'empire du nombre s'est constitué, où la représentation s'est codifiée.
Cette économie tient à trois raisons. La première est l'impossibilité de couvrir un champ chronologique et thématique allant, pour reprendre l'expression du professeur M. Hietala, de la Mésopotamie à Einstein, a fortiori au cours d'une demi-journée de Congrès ! En deuxième lieu, l'analyse historique procède de la critique (philosophique) de la notion d'origine : le "fait premier" n'est pas l'origine, mais une trace repérée du phénomène, trace dont chaque historien sait qu'elle est provisoirement première, dépendant de "l'invention" d'un fait nouveau.13 L'épistémologue, quand il parle d'origine, traite en fait des conditions de possibilité, logiques et matérielles, du phénomène, qu'il s'agisse d'un procédé ou d'un concept - "recherches plus propres à éclaircir la nature des choses qu'à montrer la véritable origine, et semblables à ceux que font tous les jours nos physiciens sur la formation du monde."14 Il n'est pas de temps zéro en histoire des sciences pas plus qu'en histoire tout court ; seuls le mythe et le conte peuvent tenir un discours en termes d'origine. Nous sommes donc contraints - et c'est la troisième raison - à nous reporter à un espace-temps défini, limité et isolé par le sens attribué aux "découvertes scientifiques", au savoir scientifique transmis et reçu.

Le temps long et l'espace éclaté sont ceux des commencements, alors que nous sommes ici confrontés à une histoire relativement récente, ouverte par ce qu'il est convenu d'appeler la "révolution" accomplie par la science classique, Vésale et Copernic (1543) servant classiquement de repères. Cette histoire est la nôtre, elle se poursuit dans un espace qui tend à s'unifier, sinon à s'uniformiser. Le climat, les hommes et les mœurs sont barrières à l'uniformisation. Il n'empêche : la transmission et la réception du savoir scientifique unifient un espace, l'espace-monde. L'universel logique de la science moderne tend - ou prétend - à l'universel géographique, si bien que l'expression "science occidentale" est en fait discutable aux deux bouts de la chaîne. Au commencement, mettons au XVIIe siècle, la révolution scientifique de l'âge classique n'a pas été en rupture totale avec les systèmes de connaissance non européens qui l'ont précédée : l'astronomie chinoise, l'algèbre arabe, l'organisation hospitalière du monde islamique sont utilisées, naturalisées, même si l'idéologie des scientifiques, singulièrement à partir du XIXème siècle, tend à faire de la science moderne un phénomène exclusivement européen.15 Aujourd'hui, multiples sont autour du monde les lieux où se trouvent, pour parler comme Candolle, "ceux qui cherchent, qui découvrent, qui inventent" et non seulement "ceux qui savent" et transmettent le savoir16 : le chercheur scientifique (scientist) qui remplit une fonction plus qu'il n'occupe un état, réside dans des laboratoire qui peuvent être reconstitués partout.
La mondialisation n'est pas seulement celle de l'information et du commerce. Le savoir scientifique peut apparaître comme un universel abstrait, il est en fait concrétement présent dans un ensemble de savoirs et de comportements qui constituent, en un temps et en un lieu donnés, un milieu, une culture, une civilisation, mais intellectuellemnt distincts de lui : par exemple, notre planète se donne désormais comme un "village global" dont le laboratoire à l'américaine, à la japonaise ou à l'européenne, peut se reproduire avec les mêmes compétences et la même efficacité en Inde, par exemple; la population des scientifiques indiens parlant anglais et publiant dans les meilleures revues demeure néanmoins une minorité dans l'océan de la population du sous-continent qui parle tant d'autres langues. Les spécificités culturelles qui n'ont rien à voir avec la science moderne n'empêchent pas l'espace du laboratoire, la salle de séminaire, le tableau noir, les instruments et appareils - des ordinateurs aux accélérateurs de particules - de rassembler des individus aux appartenances (et aux convictions religieuses) très diverses, mais qu'unifie "l'internationale de la science" dont on ne peut plus dire sans d'infinies nuances qu'elle est occidentale, européenne, nationale ou impériale.
Transmission et réception du savoir scientifique, dans cette configuration, peuvent s'entendre en deux sens : à l'intérieur de "l'internationale de la science", les mécanismes de la constitution du savoir sont multiples (reconnaissance par la communauté de la validité d'une découverte, de la priorité d'un individu ou d'une équipe, consensus autour d'une proposition). Le mécanisme de la preuve est bien travaillé depuis trois, quatre décennies : au "vrai, signe de lui-même" comme disait Spinoza, s'est ajoutée (substituée ?) l'analyse fine des négociations et des jeux de pouvoir au sein de la communauté scientifique. Oppositions féroces, querelles interminables, extrémismes et caricatures, mais au bout du compte des retombées non négligeables : l'événement scientifique est bien reconnu comme un phénomène global, constitué aussi bien par la démonstration et l'expérimentation que par les réseaux, les oppositions personnelles, les financements, les programmes, le complexe militaro-industriel. Une des illustrations de ce changement est l'importance donnée aujourd'hui à l'étude des controverses scientifiques. L'idéologie scientiste du siècle dernier, encore présente, avait présidé à l'écriture d'une histoire des sciences purifiée de toute passion, sinon la passion de la recherche. La sociologie et l'anthropologie ont nourri dans ce siècle l'histoire des concepts scientifiques de chair et de sang, une histoire parfois pleine de bruits et de fureurs.

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Transmettre et recevoir : ces deux verbes sont actifs, doublement actifs. Il n'y a pas de transmission sans réception, recevoir suppose que la greffe puisse prendre, que le terrain soit propice, quelles que soient les modifications qui s'ensuivent. Ils s'entendent d'un lieu à l'autre, d'un temps à l'autre, d'une culture à une autre, d'une forme à une autre, d'une langue à une autre. Ils supposent des acteurs qui sont des passeurs . Tout traducteur est un passeur, mais de bien autre chose que le mot: une traduction n'est jamais neutre. Chacune des sept contributions de notre session développe, sur des exemples précis et techniques, un des thèmes que nous venons d'évoquer. C'est à leurs textes que nous revenons maintenant.
L'une d'entre elles, celle de R. Rashed, traite le problème majeur de la traduction du grec en arabe : les deux exemples analysés appartiennent au IXème siècle. Toutes les autres contributions portent sur la science moderne et contemporaine, celle dont on dit qu'elle est occidentale. Il n'y a pourtant aucun disparate entre celles-ci et celle-là. Il faut ici oublier les chronologies événementielles, linéaires. Les deux exemples, développés par R. Rashed, mathématique et optique, mettent en place les conditions de possibilité de la science moderne , de la révolution de l'âge classique , identifiée au principe fondateur, la nature est écrite en langage mathématique ; mais aussi les conditions de possibilité du passage.
La traduction, nous dit-il, est une des formes du couple transmettre-recevoir, traditionnellement privilégiée dans l'analyse de l'héritage de la science hellénique, dans l'histoire des sciences arabes et des transcriptions latines. Vision "totalisante, passive, livresque", fondée sur un triple oubli :
- l'oubli des contributions fondatrices au moment même de la transmission, contributions du receveur qui explique le besoin de la traduction et modifie le vocabulaire d'origine. R. Rashed donne l'exemple d'al-Khwarizmi dont l'œuvre d'algébriste précède la traduction des Arithmétiques de Diophante et, conceptuellement et linguistiquement, est utilisée par le traducteur Qusta ibn Luqa.. La traduction est plus et autre que l'œuvre traduite; il n'est pas de traduction, il n'est pas de transmission sans recherche active ;
- l'oubli que la "science" est un savoir parmi d'autres et que l'analyse de sa transmission suppose "une démarche différentielle, respectant les clivages entre science et philosophie, mais aussi entre les sciences elles-mêmes " ;
- enfin, l'oubli que le livre, le manuscrit qui attestent, sont des véhicules parmi d'autres de la transmission. Le geste, l'objet, l'institution sont autant de "passeurs" du savoir scientifique.
Deux contributions, dans un tout autre contexte et dans un autre temps, récusent, elles aussi, la simplicité orientée (le simplisme ?) du modèle diffusionniste, du centre à la périphérie, de l'intensité au foyer des Lumières à leur probable atténuation, de l'universel au local. L'universel logique n'est pas nécessairement un universel géographique17 : le désir de savoir est bien un universel, quelle que soit la forme que revêt le savoir, mais il se développe et ne peut se comprendre que suivant des axes pluralistes. Ethnologues et anthropologues nous ont enseigné la diversité des cultures. Malgré le prestige, la réussite de la science moderne et celle du système technique contemporain, cette diversité doit être préservée, au même titre que la biodiversité, en cherchant à éviter le double écueil qui consisterait soit à penser la différence des cultures en termes d'un conservatoire de formes figées, soit à les anéantir au nom d'une forme de rationalité unique, dans l'inconcevable oubli des lieux, des climats et des mœurs dont Montesquieu a souligné le poids.
Nous avons deux exemples magistralement analysés de ce que j'appellerai une épistémologie anthropologique. Comment, aux temps de la constitution de l'empire - l'Empire britannique aux Indes de la deuxième moitié du XVIIIème siècle jusqu'à la fin du XIXème siècle - , dans l'asymétrie du contexte colonial, ont pu être menés à bien l'enquête et les relevés topographiques du sous-continent, la publication de la première carte de l'Inde (1783), avant toute carte fiable de l'Angleterre, par James Rennel (1742-1830), le père de la géographie britannique, ce qui lui valut la médaille Copley décernée par la Royal Society en 1791. Cet hommage du centre à la périphérie ignorait la manière dont cet "objet" avait été construit, et c'est le propos de K. Raj de le retracer. Croisement des pratiques de mesure traditionnelles - la baguette, la journée de marche, le corps de l'homme - , l'utilisation des données administratives de l'Inde pré-coloniale, bref le projet de représentation scientifique unifiée de J. Rennel. Transmission et réception, mais surtout véritable synthèse pour la production d'une carte, symbole de la science géographique, instrument du pouvoir politique et militaire, paradoxalement sans le recours à l'apparatus largement utilisé dans les expéditions savantes du XVIIIème siècle, par exemple la triangulation, un des symboles du voyage en Laponie de Maupertuis, commanditée par l'Académie Royale des Sciences (1736-1737) .Mais il s'agissait alors et là-bas de mesurer l'aplatissement aux pôles du globe terrestre et de donner raison à Newton "qui avait tout trouvé sans sortir de sa chambre"…

En Inde encore, mais dans le contexte de l'Indépendance, D. Kumar a affaire à double réception, double transmission: il est un historien du temps présent, un sociologue des deux cultures, un analyste du savoir technico-scientifique aujourd'hui, dans l'Inde du XXème siècle et du XXIème siècle. Il ne peut faire l'économie de l'histoire du long temps où se sont confrontés, échangés, modulés les savoirs et les gestes dans l'Inde coloniale et dans l'Angleterre impériale, l'Angleterre des Universités, accueillante aux hautes castes (outre les structures scientifiques parallèles), pleinement indiennes : par exemple , l'effet Raman vaut à son auteur C. V. Raman (1888-1970) le prix Nobel de physique en 1930, mais c'est à Calcutta, à l'Indian Association for the Cultivation of Science, créée en 1876 sous la double référence de la Royal Institution of London et de la British Association qu'il a commencé et poursuivi ses recherches18. Un exemple parmi d'autres, pour ne pas parler des très longs temps antérieurs.
D. Kumar se donne le discours du développement comme objet d'analyse et ne peut pas faire l'économie des confrontations, des oppositions, des choix que depuis l'Indépendance - plus d'un demi-siècle - scientifiques et politiques affrontent. L'expression recherche et développement fait partie classiquement du vocabulaire international des politiques et des économistes qui ont mis au point des instruments d'analyses, des indicateurs, qui ont collecté des données, établi des corrélations. Le champ disciplinaire existe fortement. J. D. Bernal a publié en 1939 un livre fondateur, The Social Function of Science, la réussite du projet Manhattan a démontré l'efficacité de l'effort scientifique programmé au temps de la Deuxième Guerre mondiale ; ce qui avait "marché" pour la guerre pouvait marcher pour la paix, quel qu'ait été le contexte de la guerre froide et des zones d'influence. J. D. Bernal fut un des interlocuteurs de Nehru, conscient de l' "utilisation of research on slow and long-term developments"19. Prestige et développement, autre sens du couple transmission-réception : le discours technique des politiques de développement suppose, pour être efficace, le passage possible, dans les deux directions, du scientifique et de l'économique, sur fond de politique de l'éducation. A l'échelle du sous-continent, entre concentration et centralisation, l'enjeu et le défi se situent sans doute ailleurs, un ailleurs qui ne relève ni de la décision politique ni de l'obligation scolaire : les lieux où se poursuivent des recherches et des enseignements scientifiques et techniques de l'ordre de l'excellence, à l'aune de l'évaluation internationale ; les lieux où se développe une éducation de masse, à l'aune d'une population en majorité rurale et d'un sous-continent.
C'est dans le registre de l'anthropologie épistémologique que le Professeur C. Sasaki examine un des mécanisme de la transmission de la science occidentale dans le Japon du Meiji (1868): le jeu des acteurs qui structurent et légitiment la communauté savante sur quatre, cinq générations. En fait, dans son récit, tout commence à la fin de la période Tokugawa, avec un médecin-traducteur, Genpo Mitsukuri (1799-1863): il traduit la médecine hollandaise d'abord, puis les disciplines les plus variées, y compris l'histoire des sciences entendues au sens occidental. Commence avec lui une saga familiale : mariage des filles avec les plus doués des disciples, petits-fils et petits-gendres formés aux disciplines, au Japon et hors du Japon - Allemagne, Angleterre, Etats-Unis -, tous passeurs d'Ouest en Est et de génération en génération. L'Europe connaît les dynasties scientifiques, les Bernouilli, Cassini, Jussieu, Huxley, Curie - le Japon aussi. Ici, comme en Europe, les structures de parenté ne sont pas immédiatement repérables par le nom pour le non-initié, lorsqu'il s'agit de neveu ou de petit-gendre, mais ici, comme en Europe, la "reproduction" à la Bourdieu fonctionne fort bien en se diversifiant à l'intérieur de la communauté.

"Deux découvertes qui se touchent dans l'esprit humain sont quelquefois séparées par des siècles". Nous avons déjà cité cette phrase de Diderot, qui nous semble être introduction parfaite à la contribution du professeur Nakayama. Séparées par des siècles, les observations de l'astronome chinois du XIIIème siècle Kuo Shou-ching, et l'utilisation qu'en fait, en 1811, P.S. Laplace, qui l'appelait " le Tycho de l'Est ", pour appuyer sa théorie de la variation séculaire de la valeur de l'angle formé par l'écliptique et l'équateur. Trois points doivent être soulignés, de nature différentes, tous susceptibles d'éclaircissements et de discussions :
- la transmission des tables d'observations chinoises d'Est en Ouest, œuvre sans doute de ces remarquables passeurs que sont les jésuites sinologues et mathématiciens: quels ont été ,en sens inverse, la curiosité et l'accés à ces tables de Laplace qui n'avait pas, comme J.-B. Biot, la chance d'avoir un fils sinologue ?
- la précision des observations, enregistrant les variations séculaires des paramètres astronomiques, n'est pas liée à l'instrument mais à la pensée, pensée d'un ciel soumis au changement, concevable pour la pensée chinoise, inconcevable pour la pensée grecque;
- la marge d'erreur dans les observations du temps au solstice et à l'équinoxe est de l'ordre de la minute dans les observations de Kuo, de plusieurs heures pour l'astronomie islamique, de l'ordre du jour pour les Grecs : les données sont ici saisies dans le cadre d'un fondamentalisme numérique (système décimal, refus de la représentation géométrique).
Pourrait-on dire que Laplace pouvait recevoir ce qui lui était transmis dans la mesure où son œuvre est essentiellemnt constituée par les applications de l'analyse mathématique, dans deux directions principales, la mécanique céleste et la théorie des probabilités ?…Laplace et Kuo Shou-ching, séparés par des siècles, mais animés du même esprit ?
C'est dans un autre espace, l'espace du laboratoire, dans un temps qui est quasi le nôtre, le temps de la recherche fortement institutionalisée, que nous poursuivons la présentation de deux contributions, groupées pour ces raisons. Dans un cas, The Discovery of the Bosons at CERN , John Krige explore un temps très court - janvier 1983, décembre 1984 -, le temps nécessaire à l'affirmation, puis à la reconnaissance par la communauté des physiciens des hautes énergies, au CERN comme hors du CERN, de la découverte d'une nouvelle particule, le W boson. L'enjeu de cette exploration, ponctuée par trois dates, (janvier 83, juillet 83, décembre 84), menée et discutée en des lieux différents, (Genève, Rome, New-York, Brighton), est de montrer "qu'une découverte sans transmission est une abstraction", que la réponse à la question "où et quand une découverte a été effectuée", en l'occurrence cette particule, est comme la question dépourvue de sens. La première question met entre parenthèses le mécanisme de transmission, discussion, réception qui transforme l'hypothèse en fait avéré et en proposition démontrée; cette hypothèse a été prudemment publiée pour assurer les priorités nationales et internationales, y compris la priorité d'une des deux équipes du CERN, même si les recherches y étaient menées en parallèle et en concertation. La deuxième question met entre parenthèses le temps réel du travail scientifique, le long temps en amont et en aval de la publication, des publications.
Cas exemplaire, analysé dans la logique interne de la physique des hautes énergies (le grand accélérateur de particules, la difficulté de l'interprétation des traces, la rareté des "événements" dans un rapport de six à un million au point de départ, l'accord avec le Modèle Standard des interactions nucléaires) et dans la logique des stratégies personnelles et institutionnelles. La phrase qui accompagne la nomination au Prix Nobel de physique de Carlo Rubbia et de Simon van der Meer en décembre 1984 , "for their decisive contribution to the large project, which led to discovery of the field particles W et Z" ne dit pas autre chose, pour qui sait lire : la "découverte scientifique" relève d'un ensemble, dans un champ disciplinaire vivant, animé par une communauté de chercheurs; elle doit circuler pour être confirmée, avant d'être confirmée. Transmettre n'est pas imposer, recevoir n'est pas acquiescer. Pour reprendre le mot de David Baltimore, cité par J. Krige, "la littérature scientifique est une conversation entre scientifiques", elle se distingue du manuel comme du catéchisme.
Dans l'autre cas, Bernadino Fantini et Bruno Strasser cherchent à comprendre pourquoi il a fallu presque vingt ans - 1950-1970 - pour que les savoirs scientifiques développés par les biologistes moléculaires se retrouvent dans les laboratoires hospitaliers des médecins et des chercheurs. La réponse et l'analyse sont convaincantes. Si notre temps est un temps où le texte, la traduction, les savoirs sont immédiatement disponibles, sur tout point du globe; ils ne sont pas pour autant transmis, c'est-à-dire reçus. Pour qu'ils soient transmis et reçus, il est nécessaire qu'ils voyagent, sous la forme d'une culture matérielle, réappropriée localement. Objets, outils et gestes, un apparatus encore une fois - le microscope électronique, l'électrophorèse, l'ordinateur - , passent du laboratoire du fondamentaliste au laboratoire du pathologiste et du généticien. Les objets parlent, il faut savoir les écouter, les objets voyagent…André Lwoff, prix Nobel de physiologie et de médecine en 1965, avec Jacques Monod et François Jacob, racontait le voyage de la pipette, en 1945-1946, de l'Institut Pasteur vers les Etats-Unis, vers Harvard si mes souvenirs sont bons : il y voyait le début de l'intérêt et de l'appui américains pour les travaux qui se poursuivaient dans le grenier de l'Institut Pasteur. La philosophie ne voyage pas, disait Rousseau dans la célèbre note X du Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes. Mais les objets voyagent, eux, et parlent, pour ceux qui savent les écouter.

List of papers .. (in French ..)

Notes

1 Jean Favier, Les grandes découvertes d'Alexandre à Magellan, Paris, Fayard 1991, p.566: "Le samedi 6 septembre 1522, la Victoria accoste à San Lucar. Des 265 hommes partis avec Magellan, des 60 qui ont quitté les Moluques, il en reste 18…Mais un navire a pour la première fois fait le tour du monde".
2 La lettre à Monsieur Dacier, secrétaire perpétuel de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, est du 22 septembre 1822, rééditée avec une post-face de Jean-Claude Goyon, "La bataille des hiéroglyphes", Paris, Fata Morgana 1989.
3 Diderot, Salon de 1756.
4 Alexandre Koyré , "Du monde de l'à-peu-près à l'univers de la précision" (Critique, n°28,1948) in Etudes d'histoire de la pensée philosophique, Paris, A.Colin 1961.
5 Ibid., p.311.
6 Antoine Schnapper, Le Géant, la licorne et la tulipe . Collections et collectionneurs dans la France du XVIIème siècle, vol.I ,hhistoire et histoire naturelle, Paris, Flammarion, 1988.
7 Jean Favier, op.cité, p.324.
8 Jean-Marc Besse, Les grandeurs de la terre. Essai sur les transformations du savoir géographique au XVIème siècle, thèse de l'Université Paris I, Panthéon-Sorbonne, 3 vol. , 562 pages et 137 pages, 1999.
9 Emmanuel Kant, "Annonce pour le semestre d'hiver 1765-1766", tr.Jean Ferrari, pp.521-522, in Œuvres philosophiques, I, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris 1980. Kant a enseigné la géographie physique aux étudiants de Koenigsberg de 1756 à 1796.
10 Ibid., p.737.
11 Emile Littré, Dictionnaire de la langue française, article "Découverte", SYN. Découverte, invention. A l'article "Invention", le sens 7 mentionne en ces termes l'usage habituel en archéologie : "Découverte de certaines reliques. L'invention du corps d'un saint".
12 Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes, II, in Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard ,Paris 1964.
13 Claire Salomon-Bayet, "La science moderne et la coexistence des rationalités ", Diogène n°126, avril-juin 1984, pp.3-21.
14 Jean-Jacques Rousseau, op.cité, p.133.
15 Roshdi Rashed, "La notion de science occidentale", Entre arithmétique et algèbre, Recherches sur l'histoire des mathématiques arabes, Les Belles-Lettres, Paris 1984, pp.301-318.
16 Alphonse de Candolle, Histoire des sciences et des savants depuis deux siècles, 1873, p.18, rééd. Corpus des philosophes français, Fayard, Paris 1987.
17 Claire Salomon-Bayet, article cité, p.18-20.
18 C.V. Raman. A Pictorial Biography, Indian Academy of Sciences, Bangalore 1988.
19 Deepak Kumar, Science and Society in Colonial India Exploring an Agenda , Indian History Congress, déc. 1999, p.27, note 80.

 

The consolidation of discovery by transmission and reception

John Krige, France

Discovery, transmission, reception: a linear model of how scientific knowledge is produced and circulates. A model which sees knowledge as a commoditywhich diffuses from the producer/discoverer to the recipient who passively and uncritically consumes it. This paper aims to challenge that model, to argue that transmission and reception, while analytically distinct phases in the process of scientific knowledge production are not separate from, but constitutive of, discovery. Scientific discoveries do not leap spontaneously to the eye; they are difficult to establish and they have important implications for the current state of knowledge and the regimes of power which go along with it. When they are first put forward the truth claims in which they are embedded are necessarily contested. The evidence for them is often ambiguous, and open to different interpretations. The consequences of accepting them will accord credit and cognitive authority, influence and power to the individuals and institutions which have made them. A scientific discovery is not an act of individual insight, though it might require a leap of genious to put a novel and provocative hypothesis on the agenda for scientific work. It is the collective outcome of an historical process in which an important truth-claim circulates inside the community affected by it, (is transmitted and received, and retransmitted), and is critically evaluated and transformed. A scientific discovery is a social accomplishment.
To illustrate these ideas this paper will describe how an important new discovery in high-energy physics came to be accepted as such by key members of the community. The finding in question was made at CERN (the European Laboratory for Particle Physics in Geneva) in January 1983 of a heavy subatomic particle called the W boson. Without going into technical details, I shall unravel the gradual growth in conviction that what the scientists in the two rival teams working independently at CERN themselves called 'candidates' for the boson did indeed constitute good reasons for believing that the particle had been discovered. The circulation and critical evaluation of the candidate events inside each team, between one team and the other, and into the international community through publication in the scientific literature and presentation at scientific meetings, as well as press conferences, played a fundamental role in consolidating the discovery as such. Six months after the first announcement had been found. In recognition of their achievement two CERN scientists, Carlo Rubbia and Simon van der Meer were awarded the Nobel prize for physics in 1984. The former was nominated the new Director General of the Geneva laboratory in the same year.

The mutual reshaping of geographical knowledge in cultural exchange: Britain and India in the late-eighteenth and early-nineteenth centuries

Kapil Raj, France

The idea that science can be likened to a commodity and its diffusion analysed in purely economic terms has been contested over the last fifteen years, showing clearly that the processes involved in its transmission and reception are complex, depending less on the rational abilities of the receiving society than on its intellectual and political traditions and institutions. A more promising approach seems, however, to take shape if one looks at science as a constant process of the making and transformation of knowledge. In this perspective, the case of geographical surveying in British India in the period between 1760 and 1850 provides a good illustration of the way in which the knowledge and know-how of the Indian and British traditions meet aroud specific projects - showing, in passing, the actual context whithin which scientific knowledge gest transmitted - and get mutually transformed through negotiation to give rise to new knowledges which would not have existed but for the context of encounter.

Le Savoir Voyageur, ou l'impossible Transmission du Savoir Scientifique
Bernadino Fantini/Bruno J. Strasser, Switzerland

Les savoirs des technosciences contemporaines se transmettent aujourd'hui presque instantanément d'un point à l'autre du globe. L'histoire de la transmission des savoirs est celle des supports de la connaissance: la voix, mais surtout le texte et l'image. Cette histoire est donc aussi celle de la diffusion de ces supports: l'histoire des voies de transport terrestres, maritimes, aériennes ou virtuelles. Les savoirs, tout comme les personnes et les biens sont transportés à une vitesse toujours plus grande, et livrés à leurs destinataires dans un état toujours plus inaltéré. Celui qui traversait I'Europe était, il y a moins d'un siècle, un voyageur; il était transformé par cette aventure. Aujourd'hui, il n'est plus un voyageur. Il se retrouve indemne, comme téléporté, dans une salle de conférence distante de milliers de kilomètres de son lieu origine. Les savoirs des technosciences font encore mieux, puisque depuis peu, ils sont transmis intactes, virtuellement et instantanément. Ou du moins, c'est ce que l'historiographie traditionnelle des sciences a longtemps voulu croire.
Des sociologues de la connaissance scientifique d'abord, des historiens des sciences ensuite, ont entrepris depuis bientôt vingt ans une remise en cause radicale de ce modèle général de la transmission des savoirs scientifiques.1 Le fondement de leur critique se situe dans leur conception de la nature de ce savoir. Alors que ce dernier était essentiellement tenu pour universal, abstrait et mathématisé, ils se sont rangés & 1'évidence d'un savoir local, situé, personnel et donc corporel. En étudiant la réplication des expériences scientifiques, censée être la garante de l'objectivité de leurs résultats, ils ont remarqué à quel point cette opération était difficile, sinon parfois carrément impraticable. Au lieu de voir là un argument qui minerait le fondement même du savoir scientifique, ils ont conclu que le savoir-faire nécessaire à la réalisation des expériences, ne se transmettait que très imparfaitement par 1'écrit et l'image. Cette difficulté tient à la nature même de ce savoir, qui incorpore des é1éments essentiels de connaissance tacite ou même gestuelle. Sans ces derniers, au XXe siêcle le phénomène du laser ne peut être produit au laboratoire,2 et au XlXe la mesure de 1'équivalent chaleur-travail ne peut être établie.3 Aussi, puisque savoir et savoir-faire sont intimement liés, (ou représentations et moyens d'intervention sur la nature),4 ces études soutiennent l'idée que le savoir scientifique ne peut se transmeftre, au sens d'une reproduction parfaite en différents points de 1'espace. D'ailleurs, si les savoirs se transmettaient si facilement, les voyages fréquents des chercheurs modernes ne s'expliqueraient que par leur goût pour le tourisme.
Cette nouvelle compréhension du savoir scientifique est le résultat, chez les sociologues des sciences, de leur intérêt pour la connnaissance scientifiques, plutôt que des institutions -qui la produisent. Chez les historiens des sciences, elle résulte d'une attention accrue accordée à la microhistoire (et à l'histoire locale) plutôt qu'à la macrohistoire (et aux "big pictures"), au "temps court" plutôt qu'au "temps long", aux "temps faibles plutôt qu'aux "temps forts", aux pratiques scientifiques plutôt qu'aux théories.
Il est pourtant indéniable que les savoirs parviennent tout de même à circuler. Mais ils sont davantage comme les voyageurs d'alors, que comme les conférenciers d'aujourd'hui. Le savoir voyageur, loin d'être transmis intact, est réapproprié chaque fois autrement par les différents acteurs sociaux. Ils intègrent le savoir voyageur dans leur culture matérielle. Cette dernière, comprenant notamment les instruments scientifique, joue un rôle particulièrement important, puisqu'elle permet la "re-présentation" de ce savoir. Le savoir ne peut donc voyager qu'entre des cultures matérielles semblables.
Nos recherches sur les interactions entre la biologie moléculaire et la médecine, à partir de 1945, nous confrontent sans-cesse à ces questions. Pendant des périodes relativement longues, les savoirs scientifiques développés par des biologistes moléculaires, ne se sont pas transmises à des chercheurs médecins, malgré leur communauté d'intérêts. Nous aurions pu nous en étonner. Au lieu de cela, nous avons cherché à comprendre la culture matérielle de ces deux groupes d'acteurs, et à la suivre dans la durée. Les outils et les gestes des uns et des autres étaient à l'origine essentiellement differents. Puis, avant que les humains ou les idées ne se rencontrent, ce sont les objets, en l'occurrence les instruments scientifiques qui ont circulé, posant les bases d'une culture matérielle commune.5 Le microscope électronique, ou 1'é1etrophorèse, objets communs dans la bolte à outils des biologistes moléculaires des années 1950 ont, vers la fin de la décennie, timidement fait leur apparition entre les mains des pathologistes ou des généticiens de la médecine. Au début, l'utilisation de ces instruments par les médecins, ne révélait pourtant en aucune manière une nouvelle façon de savoir. Le savoir scientifique des biologistes mo1éculaires n'avait pas encore réussi, faute d'une culture matérielle commune, à circuler entres les deux groupes sociaux. Ce n'est qu'une fois qu'ils ont partagé outils et savoir-faires, que les savoirs ont commencé à circuler. Des alliances entres biologistes et médecins se sont formées autour de ces instruments, intensifiant ces échanges.
Les savoirs scientifiques, ne se transmettent et ne se diffusent pas. lls sont toujours traduits dans la langue d'une culture matérielle particulière. Pour suivre les voyages des savoirs scientifiques, il faut suivre les objets matériels qui font exister ces savoirs. écoutons donc les objets, ils ont des choses à nous dire.

Notes
1 Pestre D. (1995), "Pour une histoire sociale et culturelle des sciences." Annales HSS, 50(3), 487-522.
2 Collins H. M. (1985), Changing Order., Replication and Induction in Scientific Practice, University of Chicago Press, Chicago.
3 Sibum H. 0. (1998), "Les gestes de la mesure. Joule, les pratiques de la brasserie
et la science." Annales HSS, 4-5, 745-774. 1
4 Hacking 1. (1983), Representing and Intervening, Cambridge University Press, Cambridge.
5 Strasser B. J. (sous presse), "Microscopes électroniques, totems de laboratoires et réseaux transnationaux: L'émergence de la biologie moléculaire à Genève (1945-1960)." La Revue d'Histoire des Sciences.

Laplace and Chinese numericism
Shigeru Nakayama, Japan

It was Pierre Simon de Laplace, more than anybody else in the Western worlld, who appreciated the observational values of Kuo Shou-ching, a thirteenth century Chinese astronomer. Laplace praised Kuo calling 'the Tycho of the East.' In 1811, Laplace sought a dated ancient observations which to test his theory of the secular variation of the value of obliquity (the angle between the ecliptic and the equator).
Prior to Laplace, no one was prepared to use ancient Chinese data for the secular variation of astronomical paramerters over time, because European cosmologies assumed that they did not change.
Even Laplace did not know his idea of the secular variation of astronomical parameters had been already adopted in Kuo's Hsiao-chang method in which the length of tropical year changes, as it bevome shorter as time passed. The Chinese had freely entertained such idea of changing world, as opposed to Platonic conviction in eternal heavens.
While Laplace merely employed Kuo's observarion as data for his theory, I have proved that Kuo's observations of equinox and solstice time far excelled those of the West. While Greek error was in the order of days and Islamic measurements erred several hours, Kuo's measurements err to the order of only minutes. Such Chinese precision was due to a tradition of Chinese numericism that culminated in Kuo's work.
The Chinese mathematical system was known to be characteristically computational and numerical throughout history. Its decimal system seems to be have originated before 3rd century BC, as employed for decimal computation and helped perpetuate decimal calculation. The use of counting rods and also the later invention of decimal abacus must also have contributed to the exclusion of other methods, especially the use of geometrical illustrations.
Following the paradigm of the Futien calendar, the algebraic representation of solar equation of center to the second degree, Kuo extended it to the third degree. Kuo also replaced traditional calendrical epoches at a grand conjunction with an astronomically arbitrary, recent point of origin convenient for decimal calendrical calculation, thus thoroughly replacing fractions with decimal numerals. He also employed a quasi-spherical trigonometry purely numerically without recourse to geometrical figure. Though he did not claim so openly, all of these was the outcome of his conscious methodology to exclude geometry. It can be called 'numerical fundamentalism'.
Half a century after Laplace, however, J.B. Biot, many-sided astronomer and chemist, who had a more satisfactory understanding of the Chinese system of astronomy with the aid of his son E. Biot, a young Sinologist, commented in 1862 that without mastering spherical astronomy, the Chinese could not develop further towards numerical precision.

Techno-Scientific Knowledge and the Vision of 'New' India
Deepak Kumar, India

Turn of a century can be a good time for historical reflections. The onset of the 21st century has been treated with a great deal of media hype and forecasts as a century of knowledge and incredible developments, etc. Perhaps every age is an age og transition and change. How did the Indians feel when they entered the 20th century? How did they look at the then excisting techno-scientific knowledge? How different it was going to be from the past? The beginnings saw the apogee of the Empire but things were to change soon. What wsa their vision of 'new' India? How was 'new' knowledge perceived? What new strategies were thought of? even the colinial government had to shift gear and talk aabout development. The new middle class that had emerged out fo the colonial experience, appropirated the right to speak on behalf of all people and pondered over the ways and means to improve their lot. On the new agenda figured technical education, scientific research, medical intervention, agricultural experiments, institutional dissemination of knowledge, etc. Could they succed in making a clear blue-print? Differenceds of opinion and vontroversies digged the discourse all the time. The present paper would aim to discuss not only the contours of the 'development discourse' but also the views that still lay on the margins. The paper will be based on primary documents, tracts, contemporary publications and also the private papers of some Indian scientists and adminstrators.

The Mitsukuri Family and the Transmission of Western Science to Japan
Sasaki Chikara, Japan

Towards the end of Tokugawa Japan, Dutsch studies flourished not only in Nagasaki and Edo (now Tokyo) but also in a rather isolated local town named Tsuyama of the Mimesaka domain of the Chûgoku district. Tsuyama produced several eminent Dutch scholars such as Udagawa Yôan (1798-1846) and Mitsukuri Genpo (1799-1862). Genpo began his professional career as a clan doctor of Chinese traditional medicine. On moving to Edo in 1822, he started to learn Dutch medicine under Udagawa Genshin (1770-1835), Yôan's father-in-law. Genpo translated quite a few medical and surgical books written in Dutch. He then shifted his interest from Dutch medicine to Western learning in general. In 1839 he was appointed an official translator of Western books by the Tokugawa central government. remarkably, on Perry's arrival in Edo in 1853 and Putiatin's visit to Nagasaki in the same year, it was he, among others, who made Japanese translations of important diplomatic documents. In 1856, he was nominated the principal professor of the newly established Bansho Shirabesho, or the Institute for Investigating Barbarian (Foreign) Books, a predecessor of the University of Tokyo. He is said to have translated or written as many as 99 books (160 volumes) on medicine, geography, history, military technology, and many others. He may be considered to have been one of the fathers of historical science in the Western style.
Mitsukuri Genpo had no sons, but three daughters. He deliberately chose his talented disciples of Dutch studies as sons-in-law, namely Sasaki Shôgu (1821-1847) for his third daughter Chima in 1844, and Kikuchi Shûhei (1826-1889) for his second daughter Tsune in 1850. Furthermore, he got married his first daughter Seki to Kure Kôseki (1811-1879), a medical doctor in Hiroshima, in 1844 after a failure in her first marriage. Through these marital relations, Genpo succeeded in having extremely talented grandsons. Shôgu's son, Mitsukuri Akiyoshi, or Rinshô (I: 1846-1897), played an important role for importing legal systems of Western countries. Kôseki's first son Kure Ayatoshi (II: 1851-1918), was functional for implanting statistics in modern Japan, and his second son, Kure Shûzô (III: 1865-1932) became one of Japan's first psychiatrists and a historian of medicine. Shûhei's first son Mitsukuri Keigo (V: 1852-1871) was excellent in English studies, but died a premature death; His second son Mitsukuri Dairoku, later later Kikuchi Dairoku (VI: 1855-1917), became the very first professor of mathematics at the University of Tokyo in 1877 on his graduation from Cambrigde University; His third son Mitsukuri Kakichi (VII: 1857-1909) became professor of zoology at the University of Tokyo (The Roman numerals indicate the order of Genpo's grandsons, with the fourth being vacant). As can be easily imagined, some of Genpo's granddaughters succeeded in marrying scholars of good reputation, and his great grandsons also became influential scholars who contributed greatly to the introduction of Western learning into Japan.
Consequently, the Mitsukuri family might be compared to the Bernoulli family in seventeenth- and eighteenth-century Switzerland or the Huxley family in nineteenth- and his grandsons could study various Western sciences in European countries and in the United States of America through English, French and German as well as Dutch. So, the Mitsukuri family can be regarded as a bridge between Dutch studies in the Tokugawa period and Western sciences after the Meiji Restoration.